L’histoire enchantée de Kay et Gerda, deux meilleurs amis, séparés par la colère des Trolls et réunis, après une épopée initiatique, grâce la mystérieuse Reine des Neiges… On connaissait, de près ou de loin, le conte d’Andersen ; mieux encore sans doute son adaptation pas vraiment fidèle par les Studios Disney. Ici, c’est un véritable retour aux sources que nous offrent Johanna Boyé et la Comédie-Française, à destination des petits, mais aussi (surtout ?) des plus grands. Un pari risqué, mais gagnant.
Risqué, car, la scène se prête moins à la représentation du merveilleux que le cinéma ou la littérature : au théâtre, les personnages sont là, sous nos yeux, bien réels et non de purs fantasmes. Mais gagné, car, malgré ce handicap, le charme opère, par la grâce d’une intrigue dynamique, du subtil enchâssement de plusieurs niveaux de récit, du flamboiement de décors et de costumes, tous splendides… et, bien sûr, de comédiens toujours justes – on saluera tout particulièrement les performances admirables de Danièle Lebrun et de Dominique Parent.
Ambitieuse, la mise en scène ne se contente pas de repousser les limites intrinsèques du média théâtral ; elle exploite son potentiel propre, assumant l’absurde pour le rendre symbolique. Si le renne paraît si humain, c’est qu’il y a de l’humain en lui ; si les mêmes comédiens jouent plusieurs personnages, c’est que tous ces personnages se ressemblent. Sans parler de ces beaux moments de réflexion sur l’art, dans la lignée d’un Shakespeare ou d’un Calderón – « la nuit est un théâtre, et les pièces sont des rêves… ».
Une telle densité a un prix : celui de laisser, parfois, le spectateur sur sa faim. À vouloir coller de trop près au texte original, la pièce délaisse parfois certains personnages. On aurait par exemple aimé voir davantage, notamment sur la fin, ces trolls si comiques, éclipsés ici par la Reine des Neiges ; et l’enchaînement des péripéties et des récits encadrés n’est pas toujours facile à suivre (surtout pour des enfants).
Mais ce ne sont là guère que des détails au vu de la qualité de l’ensemble, et de sa capacité, rare dans le genre du conte, à s’émanciper d’un manichéisme auquel les Disney nous avaient souvent habitués. Comme le dit la grand-mère : « C’est au plus noir de la nuit que les rêves se forment… et se réalisent ».