Le mal au ventre

Je ne suis jamais tombé enceinte. N’étant pas assez manuel pour construire une maison et trop peu talentueux pour bâtir une œuvre, c’est tout ce qu’il me reste. Miracle du don de la vie pour propager l’espèce. Surtout, me propager moi et attendre de ma descendance qu’elle accomplisse ce que je ne sus point faire. Oui, mais si c’est d’un monstre dont j’accouche ? L’hypothèse est un premier vertige.  Régis Jauffret, à sa façon, tente l’expérience. L’objet accouché, Dans le ventre de Klara, est ni plus ni moins qu’un grand, un monumental roman. L’auteur d’Univers, univers se propose de nous plonger dans la tête de Klara, touchante Autrichienne, enceinte d’Adolf Hitler. Prendre ce parti, c’est s’imposer comme écrivain de l’Agence tous risques. C’est démontrer, aussi, qu’il faut écrire contre la mémoire du siècle passé qui s’effrite, qui nous semble trompeusement à nous, jeunes gens, un peu trop passé, un peu trop espacé, autrement dit, écrire contre le sentiment qui fait accroire aux plus irresponsables que la barbarie est un mal saisonnier qui s’attrape en des temps uniquement lointains, et que parler encore du passé, c’est être compassé. Dans le ventre de Klara est le roman d’une gestation maléfique, mais dont le mal n’est jamais vraiment nommé, parce qu’il n’est pas toujours celui qu’on croit. C’est avant tout celui d’une femme que la culpabilité habite à chaque étage de son être, qui a la malchance de vivre dans une Autriche étriquée, 100 % patriarcale, avec un mari qui la viole tous les soirs.…