Notre monde se caractérise par deux phénomènes: la polarisation et l’hystérisation. Il est de bon ton d’en attribuer la responsabilité aux réseaux sociaux. Tout se passe comme si la prophétie de Günther Anders (1902-1992) sur le conditionnement collectif se réalisait. «Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations matérielles, médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste… que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif», écrivait le philosophe allemand, critique de la modernité, dans L’Obsolescence de l’homme (1956).
Dans le monde actuel, l’individu se retrouve – en partie à cause des lacunes de l’enseignement et en partie à cause des algorithmes – enfermé dans sa prison intérieure. Enchaîné dans sa caverne des illusions, il a peur de découvrir la lumière, d’être exposé à la vérité, de se confronter aux autres, et il se contente de consommer.
Si Bastille Magazine a été créé en 2021, c’était dans le but d’inciter le citoyen à prendre d’assaut sa «Bastille intérieure» pour s’ouvrir aux autres. Plus que jamais, nous pensons, malgré les difficultés de la presse, qu’il faut continuer dans cette voie: défendre la liberté et permettre aux lecteurs de découvrir le monde réel et non pas seulement les sujets choisis par des outils numériques.
C’est la raison pour laquelle nous avons imaginé cette nouvelle formule. Nous proposons une maquette plus aérée, un meilleur repérage des rubriques, une couverture plus éloquente, sans renier ce qui fait l’ADN de Bastille Magazine, qui a ouvert ses colonnes à de très nombreux écrivains depuis deux ans (Jean-Christophe Rufin, Lydie Salvayre, Alexis Jenni, Caryl Férey, Blandine Rinkel, Lolita Pille, Marie Desplechin, Emma Becker, François-Henri Désérable, Emmanuel Ruben notamment) et à des artistes de renom (Derek Boshier, Hervé Di Rosa, Jan Voss, François Boucq, pour n’en citer que quelques-uns).
Bastille Magazine publie toujours de grands récits journalistiques, des analyses, des chroniques, des entretiens, des textes littéraires, notamment une nouvelle originale à chaque numéro, et des illustrations. Nous sommes convaincus que dans le brouhaha médiatique actuel, il est nécessaire de prendre son temps pour apprendre la tempérance, la nuance. Le grand problème de notre temps est que nous sommes incités à écouter pour répondre et non pas pour comprendre. Or, si chacun est libre de son opinion, encore faut-il que celle-ci soit étayée. Sinon, nous ne sortirons pas de ce vaste café du commerce virtuel dans lequel on veut nous enfermer.
Pour nous aider à nous repérer dans ce monde instable, pour nous libérer du connu, nous offrons davantage de place aux artistes et aux écrivains car ils peuvent nous aider à faire un pas de côté pour déchirer le voile des illusions, pour réconcilier le monde sensible et le monde intelligible.
