Expansion rébellion

L’univers tout entier obéit à la loi de l’expansion: ainsi il crée et détruit, se poursuit, depuis son origine, sans aucun plan. On ne peut rien lui opposer. Les êtres humains longtemps ont cru pouvoir lutter – contre la moisissure, les mauvaises herbes, les rats, le vieillissement. Mais c’est une illusion tragique de croire que l’emporter en un lieu donné, dans mon jardin, sur ma peau, c’est l’emporter tout court. L’univers tout entier obéit à des processus. Or un processus ce n’est jamais ce qui a lieu ici et maintenant, c’est ce qui a lieu, tout court. Dans son dernier roman, Eve Melville, Cantique, Justine Bo brosse le portrait d’une femme racisée, Eve Melville, dont la vie est une affaire de couleurs. D’abord le bleu: Eve est la dernière femme d’une lignée d’esclaves, pour qui bleu signifie noir, travail forcé dans les champs d’indigo, «un corps d’ordre et de discipline réveillé et couché par les maîtres, traîné par les maîtres, incendié par les maîtres, fouetté par eux, cravaché». Il y a ensuite le noir: descendante de Salomon, l’esclave affranchi, qui a fui grâce à l’Underground Railroad d’Harriet Tubman, Eve occupe la maison que son aïeul s’est offert, «l’acmé de son existence, la pierre de son exode». Quatre murs pour que les fils, les fils des fils, et tous les descendants puissent «connaître la liberté dans laquelle il n’avait pas eu l’occasion de naître», la poursuivre dans la vie nue. Cette maison, c’est ce qui reste, ce qui résiste, une demeure. Jusqu’au…