En mars on voyage, d’abord Au pied des étoiles avec sous ce titre un album réalisé à quatre mains par Edmond Baudoin et Emmanuel Lepage. Embarqués pour le Chili en décembre 2021 par un professeur de physique d’un lycée de Grenoble, les deux auteurs chevronnés sont au départ plutôt décontenancés par son projet d’emmener ses élèves au fameux observatoire du Cerro Paranal, dans le désert d’Atacama. Mais au fil de pérégrinations qui les mènent du nord au sud du territoire chilien, ils se laissent porter par leurs intuitions. Ils produisent des montagnes de dessins et, finalement, un récit aussi profus qu’inclassable. Il y est question des ébranlements sociaux et politique du pays, de son histoire tourmentée, des peuples premiers, de la nature, des animaux, de l’amour, de la transmission entre générations, du cancer qu’a affronté Emmanuel Lepage, de l’art, de la poésie, des techniques de dessin, des interrogations intimes des auteurs et, bien sûr, des étoiles. Les impressions et les dessins de l’un et de l’autre s’entrecroisent et s’imbriquent. Jusqu’à produire des planches souvent sublimes.
- Au pied des étoiles, par Emmanuel Lepage et Edmond Baudoin, 264 pages couleur, 28 € (Futuropolis)
Avec Sang neuf, certainement son chef d’œuvre, Jean-Christophe Chauzy propose un parcours intime qui touche à l’universel. On est loin du polar social teinté d’humour qui était sa marque de fabrique. En 2020, l’auteur est atteint d’une myélofibrose engageant son pronostic vital. Le voilà, en pleine période de Covid, pris dans un redoutable parcours de soin. Il en tire un ouvrage cathartique. La linéarité du scénario, qui suit méthodiquement les étapes de son traitement, est sans cesse percutée par l’inventivité du découpage et du dessin. Plusieurs réalités, vécues ou fantasmées se superposent. Poursuivant les deux sens du mot patient (« Patient, être le nom, s’efforcer d’être l’adjectif »), Chauzy expose une trajectoire édifiante qui exacerbe toutes les sensations. Il fait toucher du doigt les dimensions multiples de l’âme humaine.
- Sang neuf, par Jean-Christophe Chauzy, 256 pages quadri, 26,90 € (Casterman)
Le grand Manu Larcenet (Le Combat ordinaire, Blast…) invite, lui, à un périple post-apocalyptique en adaptant en BD le best-seller de Cormac McCarthy, La route. Du cheminement aussi résolu que vain d’un père et de son fils dans un monde dévasté, hostile, ravagé par la violence, le dessinateur extrait tel un mineur de fond des visions stupéfiantes. D’un brouillard de poussières et de cendres émergent les ruines de cités, d’autoroutes, de complexes industriels. On traverse les vestiges de forêts et de bocages. On croise des débris d’humanité, des cadavres. Manu Larcenet travaille jusqu’à 14 nuances de gris, à peine éclairées par de pâles teintes de rose, de jaune ou de bleu. Faux signes d’espoir dans un enfer sans rémission.
- La route, par Manu Larcenet d’après l’œuvre de Cormac McCarthy, 160 pages quadri, 28,50 € (Dargaud, parution le 29 mars)
Pas de voyage sans guide et, ce mois-ci, on ne manquera pas celui que Marie Dubois destine « à nos filles » pour contribuer à leur (sur)vie « de 11 à 111 ans ». Nourri par les expériences personnelles de l’autrice, plein d’humour, Meuf est aussi remarquablement documenté. Patriarcat, puberté, règles, seins et fesses, harcèlement et cyber harcèlement, complexes, rivalités féminines, girl power, sororité, LGBTQIA+… Pour paraphraser le chat noir de la narratrice, « à la fin, on comprendra peut-être enfin ce que c’est qu’être “une femme” ».
- Meuf, par Marie Dubois, 192 pages couleur, 22,50 € (Le Lombard)