- Journal d’une bataille
Comment raconter une histoire ? L’art de la bande dessinée a plus d’une corde à son arc. Cyril Pedrosa en a testé plusieurs avec Les cœurs solitaires, Portugal, Les équinoxes ou L’âge d’or. Pour son splendide Journal d’une bataille, reflet intime d’un combat intérieur, il pousse aux extrêmes la déconstruction du genre. Il en casse les codes, les cases et les phylactères. Il déploie en parallèle une ligne picturale exprimée dans 92 dessins sur pleine ou double page, et un texte en fragments aux teintes changeantes, déroulés de juin 2022 à novembre 2023.
Les dessins ? Des paysages intérieurs et extérieurs, des visions en noir et blanc ou plus souvent dans un festival de couleurs, traversés par des personnages évanescents, des fantômes. Les textes ? Le récit, hanté par le réchauffement climatique et l’inaction des politiques, d’un corps à corps avec le monde et soi-même. Un cri, mais pas que de colère. Des émerveillements, des aspirations, la vie dans ses contradictions.
- Journal d’une bataille, par Cyril Pedrosa, 240 pages couleur, 45 € (Dupuis)
- Le dernier debout
Très différent dans ses habits noirs, rouges et blancs, Le dernier debout bouscule tout autant le récit en bande dessinée. Car pour retracer la carrière du boxeur Jack Johnson (1878-1946), fils d’esclaves et champion du monde des poids lourds, le dessinateur Youssef Daoudi a travaillé avec un poète, l’Américain Adrian Matejka. Suivant les 15 rounds du célèbre combat qui a opposé, le 4 juillet 2010 à Reno (Nevada), Johnson au champion blanc Jim Jeffries, les textes, les mots sont déposés sur les pages dans des configurations multiples. Les dessins, articulés en cases ou libres de toute contrainte, à fonds perdus, déstructurés, composent avec eux une danse. Nul besoin d’aimer la boxe pour se laisser porter par cette scansion. Les deux auteurs brassent avec brio le destin d’un homme et l’histoire de l’Amérique.
- Le dernier debout, par Adrian Matejka et Youssef Daoudi, traduit de l’américain par Sidonie Van den Dries, 328 pages couleur, 30 € (Futuropolis)
- L’odeur des pins
Pour explorer dans L’odeur des pins la face sombre de l’histoire de l’Allemagne à travers celle de sa famille, Bianca Schaalburg ne rechigne pas, elle, à utiliser les cases. Mais elle leur applique un traitement qui lui est propre. Côté textes, un savant dispositif combine à l’envi les dialogues et diverses formes de voix off et de commentaires. Côté dessin, des codes couleur (marron, vert, orange, bleu, violet) permettent d’identifier chaque période, de la deuxième Guerre Mondiale à nos jours. Emerge peu à peu, derrière le quotidien des générations successives et une grand-mère ressassant qu’elle « ne savait rien », la figure d’un grand-père, Heinrich, qui a vraisemblablement bu le calice nazi jusqu’à la lie.
- L’odeur des pins, par Bianca Schaalburg, traduit de l’allemand par Elisabeth Willenz, 208 pages couleur, 26 € (L’Agrume)
- Les âmes noires
Noir comme le charbon que Yuan transporte dans son camion, Les âmes noires s’accommode en revanche d’une structure narrative linéaire, sans artifice. Influencés par le documentariste chinois Wang Bing (A l’ouest des rails, L’argent du charbon, Jeunesse…), Aurélien Ducoudray (scénario) et Fred Druart (dessin) plongent dans le monde précaire d’un routier chinois. Yuan achète sa cargaison auprès de mines clandestines et la négocie dans des villages reculés. Lorsqu’on lui dérobe son camion, la seule source de revenus de sa famille disparaît et il perd la face. Il va tout faire pour le retrouver dans une Chine rurale que les deux auteurs cadrent au plus près de son sol boueux sur lequel survivent difficilement des populations restées à l’écart du développement du pays.
- Les âmes noires, par Aurélien Ducoudray et Fred Druart, 128 pages couleur, 21,95 € (Dupuis)