Les soulèvements de la chair

Sophie Benard examine les mystères et la domination du corps dans un essai philosophique aussi audacieux que critique. Je me rappelle un livre du philosophe Jean-Luc Nancy, L’Intrus (2000), qui ressemblait à une tentative de saisie par le corps, en l’occurrence, par son cœur transplanté, de saisie par l’expérience de ce corps mutant, modifié, donc, de ce qu’est être. Il ne s’agit pas de tordre la tête au dualisme fondamental, celui des Anciens et des plus vieux, opposant corps et esprit. Mais plutôt d’utiliser son corps comme la bobine d’un sismographe, comme un œuf – vierge blanc mou – qui enregistre les secousses quotidiennes, infra ou suprasensibles, et d’en tirer du sens. Utile car le corps est le premier point de contact au monde, une machine enregistreuse avec plus de 600000 terminaisons nerveuses sur notre peau, 2300/cm2. Mon corps est le premier point de contact au monde, ce qui d’emblée s’enflamme dans le champ social. Le premier sujet irradié, ce moi-peau. Même dans le métavers, le corps virtuel, simulé, reste un corps de chair stimulée. Fondamentalement corps politique, éduqué, encadré, transformé par les milliards de dispositifs que l’intelligence humaine a conçus, depuis la survie primitive d’avant l’histoire jusqu’à la crème hydratante réservée à ma peau sujette aux irritations. Notre corps ressemble à la carlingue du vaisseau spatial Columbia, qui a explosé avec tout son équipage en rentrant dans l’atmosphère, le 1er février 2003. Vivre, c’est résister à sa propre désintégration. Sophie Benard vient de publier Faire corps, son premier ouvrage, un audacieux récit-essai, dans lequel…