Les empires contre-attaquent

Olivier Postel-Vinay

Emmanuel Todd et Jean-François Colosimo ne cessent de diagnostiquer le déclin de l’Occident libéral face à la montée des expansionnismes autoritaires. Si le premier semble s’en réjouir, le second s’en désole.

 

Dans le deuxième volume de son Déclin de l’Occident, publié en 1922, Oswald Spengler annonce que les régimes «césaristes» viendront à bout des démocraties d’ici un siècle. Nous y sommes. Deux livres choc parus à l’ouest du Rhin l’illustrent, chacun à sa manière. Emmanuel Todd voit déjà la «défaite» advenir et, par dépit amoureux, semble s’en réjouir. Jean-François Colosimo s’en désespère et appelle à un sursaut.

Sur le constat de base, les deux auteurs se rejoignent. Alors qu’à l’époque de Spengler, l’Occident dominait le monde, sa prééminence est mise à mal par une coalition d’États autoritaires, qui rassemblent plus de la moitié de la population mondiale, disposent de moyens technologiques de haut niveau et développent une propagande anti-occidentale qui fait mouche, chez eux et ailleurs. Les auteurs soulignent la sidérante cécité de nos chères élites, qui n’ont rien vu venir. «Aveuglées par leur narcissisme idéologique», écrit Todd. Par leur «arrogance», renchérit Colosimo. Todd publie une carte des pays qui ont refusé de sanctionner la Russie en 2022: ils sont une nette majorité.

Pour le reste, les deux essayistes font route à part. Colosimo l’historien voit «les empires de retour, toutes bannières déployées». Il nous immerge dans leur dynamique, depuis Akkad jusqu’à la «République impériale» américaine, en s’attardant sur le «club des cinq»: Russie, Chine, Turquie, Iran, Inde, ces cavaliers de l’Apocalypse qui «incarnent le basculement de l’ordre planétaire». Ayant humilié les vieux empires orientaux, l’Occident les a tellement «envoûtés» qu’ils se sont mis en devoir de singer le maître, mais en ne s’appropriant que l’écume, la «religion du progrès». Déstructurées en profondeur ou menacées de l’être, leurs sociétés aujourd’hui nous exècrent. Retour de manivelle.

Pour Todd l’anthropologue, l’œil du cyclone est l’effondrement de l’Occident, trou noir d’une déchristianisation débouchant sur l’abandon des valeurs morales associées à la famille et à la nation: «Le nihilisme, qui idolâtre le rien, est omniprésent en Occident, en Europe comme outre-Atlantique.» Tout spécialement dans les pays de culture protestante, États-Unis en tête. Le temps est venu de la «religion zéro». En Europe, les nations ne sont plus que «des agrégats atomisés, peuplés de citoyens apathiques et d’élites irresponsables». Cela fait les délices des futurs maîtres du monde, droits dans leurs bottes.

Ici l’anthropologue se meut en pamphlétaire. Sa vision de la Russie de Poutine n’a rien à envier à celle de l’extrême droite. Autoritaire certes, elle serait bien une «démocratie», alors que nos pays ont cessé de l’être. Il légitime l’intervention de Moscou en Ukraine. Il ne semble pas se rendre compte que s’il était russe et, à fronts renversés, critiquait ouvertement «l’intervention spéciale», il moisirait en prison, pour le moins. On hallucine. De son côté Colosimo, orthodoxe fervent, avance que la renaissance des empires autoritaires témoigne d’un retour du religieux, en réaction à l’athéisme militant, hérité de l’Occident, des pères fondateurs de ses révolutions. Ce n’est guère plus convaincant. Peut-on réellement comparer la réhabilitation du confucianisme chinois à l’extrémisme chiite ou à l’hindouisme castrateur de Modi, la récupération par Poutine du patriarche Kyrill au militantisme sunnite d’un Erdogan? Deux grilles de lecture biaisées, donc, mais stimulantes, en ce qu’elles nous font sortir de notre zone de confort.

 

Occident: ennemi mondial n°1 de Jean-François Colosimo, éd. Albin Michel, 256 p., 21,90 €

La Défaite de l’Occident d’Emmanuel Todd, éd. Gallimard, 384 p., 23 €

 

Ancien rédacteur en chef de Courrier international puis de La Recherche, Olivier Postel-Vinay a créé et dirigé le magazine Books. Il a notamment publié Sapiens et le climat (éd. Litos)....

Emmanuel Todd et Jean-François Colosimo ne cessent de diagnostiquer le déclin de l’Occident libéral face à la montée des expansionnismes autoritaires. Si le premier semble s’en réjouir, le second s’en désole.   Dans le deuxième volume de son Déclin de l’Occident, publié en 1922, Oswald Spengler annonce que les régimes «césaristes» viendront à bout des démocraties d’ici un siècle. Nous y sommes. Deux livres choc parus à l’ouest du Rhin l’illustrent, chacun à sa manière. Emmanuel Todd voit déjà la «défaite» advenir et, par dépit amoureux, semble s’en réjouir. Jean-François Colosimo s’en désespère et appelle à un sursaut. Sur le constat de base, les deux auteurs se rejoignent. Alors qu’à l’époque de Spengler, l’Occident dominait le monde, sa prééminence est mise à mal par une coalition d’États autoritaires, qui rassemblent plus de la moitié de la population mondiale, disposent de moyens technologiques de haut niveau et développent une propagande anti-occidentale qui fait mouche, chez eux et ailleurs. Les auteurs soulignent la sidérante cécité de nos chères élites, qui n’ont rien vu venir. «Aveuglées par leur narcissisme idéologique», écrit Todd. Par leur «arrogance», renchérit Colosimo. Todd publie une carte des pays qui ont refusé de sanctionner la Russie en 2022: ils sont une nette majorité. Pour le reste, les deux essayistes font route à part. Colosimo l’historien voit «les empires de retour, toutes bannières déployées». Il nous immerge dans leur dynamique, depuis Akkad jusqu’à la «République impériale» américaine, en s’attardant sur le «club des cinq»: Russie, Chine, Turquie, Iran, Inde, ces cavaliers…

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