Xavier Couture
Les Jeux olympiques arrivent cet été à Paris, entraînant à leur suite une cohorte de valeurs tant morales que financières. Mais ils n’empêcheront pas les bombes de s’abattre au même moment sur des civils innocents.
Les portes de Paris s’ouvrent le 26 juillet. Vont s’y engouffrer des milliers d’athlètes et des centaines de milliers de spectateurs. L’olympisme est-il encore un jeu ? À tout le moins va-t-il organiser ses Jeux, hymne à la jeunesse, à l’effort, au développement et à l’épanouissement des êtres. Certes, le caractère religieux de la naissance des Jeux à Olympie marquait déjà le besoin de transcendance. Le sponsor majeur s’appelait Zeus et la légende raconte que son fils Héraclès avait parcouru 600 pas pour définir la taille du stade.
Folâtrer dans cette Antiquité où les dieux séduisaient les plus jolies femmes tandis que les déesses suivaient de près les exploits de leurs chouchous est réjouissant. 776 avant J.-C., ce n’est pas hier matin, nous donnerons crédit à Iphitos, roi d’Élide d’avoir organisé la première Olympiade. Et ce fut Corèbe d’Élis qui fut le premier médaillé de l’histoire, en s’imposant au terme d’une course dont le souvenir en a fait un héros pour l’éternité. L’hymne d’Élis fut-il joué à la trompette pour la circonstance? Un défilé de vestales et d’éphèbes avait-il été prévu pour le couvrir de sa couronne de laurier et lui remettre son ruban de laine rouge et sa branche de palmier? Au bord de cette Méditerranée fondatrice, les mythes ont prospéré, se mêlant au quotidien des humains. Et puis ce fut l’apogée du siècle de Périclès, âge d’or de la pensée des philosophes qui ont bâti le socle de notre civilisation.
Le monde est en feu. Et il faudrait sourire sur la photo ?
Les Jeux olympiques font partie de cette mythologie du réel. Quelques noms ont traversé les millénaires: Milon de Crotone, lutteur invincible, le boxeur Diagoras, venu de Rhodes, ou le coureur de fond Léonidas, dont seule la mort pouvait entraver la foulée, et encore. Les Jeux olympiques ouvraient une période de trêve. Le calme s’emparait de la Grèce quand les valeureux s’époumonaient sous le regard du grand jury des dieux. Les «Chariots de feu» transportaient de la gloire en fusion et des fiertés partagées, cela inspira un film splendide. 1924, les Jeux de Paris voient un étudiant anglais, Harold Abrahams, juif d’origine lituanienne, remporter le 100 mètres. Hugh Hudson, le réalisateur, en a magnifié l’histoire, créant à nouveau la magie d’un mythe. L’Europe sort de la guerre, Paris accueille l’évènement. Les antisémites hurlent contre Abrahams tandis que son copain Liddell ne s’alignera pas au départ de la course. Elle se déroulait un dimanche et il ne voulait pas courir le jour du Seigneur. Gloire donc au dieu Abrahams. Cela n’arrêta ni les polémiques ni les insultes antisémites. Ainsi commençait la prise d’otages des JO par la politique, comme en 1936 à Berlin, ou en 1972 à Munich, en 1980 à Moscou ou en 1984 à Los Angeles. Laissons-nous aller à ce mantra facile pour gazette ou chaîne de télévision, parce qu’il faut y croire : « Le sport finit toujours par reprendre ses droits. »
Paris 2024. Le monde est en feu et les chariots transportent de la cendre. Et il faudrait sourire sur la photo? Les athlètes écouteront les hymnes dans l’illusion de la paix pendant que des enfants meurent sous les bombes, là et là et encore ailleurs. Les Jeux se dérouleront à moins de 1 000 kilomètres d’un pays d’Europe en guerre depuis deux ans, une sale guerre, symbole d’une fracture géopolitique comme on n’en avait jamais connu auparavant. Un pays issu de 1945 et de 1989, un pays dont il aurait semblé absurde en 2020 de prédire ce qui est advenu deux ans plus tard, à nos portes. Les deux guerres mondiales avaient mis l’olympisme sous cloche en attendant que la paix ne permette de ressortir les fanions. Aujourd’hui, si on décernait la médaille d’or du déni, le CIO serait hors concours. Sa victoire a le goût des intérêts bien compris, ça sent bon le dollar, les audiences télévisées et les enjeux d’image pour les nations en quête de records et pour leurs dirigeants avides de lumière. Faites tourner la roue, c’est bon pour le commerce et ça fait marcher droit les peuples dont la fierté s’incarne chez les forçats du chronomètre, ils vont en piste pour nous donner un peu de joie de vivre dans un quotidien menacé.
Cette illusion de fraternité doit-elle être remise en cause? Si l’on se hasarde à considérer le bilan carbone désastreux de ces charters de supporters ou si l’on interroge la rémunération symbolique de 80% des athlètes, la question est légitime. Et pourtant non, non et non! Le simulacre de l’affrontement que représentent les Jeux depuis l’Antiquité permet la catharsis de la violence humaine et la comparaison des égos dans le silence des armes. Plier aujourd’hui serait accepter la dictature des kalachnikovs, la victoire des bombes et des missiles, l’acceptation de la fracture irréductible de notre planète, le triomphe des autocrates.
Le simulacre de l’affrontement que représentent les Jeux permet la catharsis de la violence humaine.
Sans doute fera-t-on encore à cette olympiade le reproche de son origine occidentale, sans doute le grand tableau des médailles ouvrira-t-il une concurrence, d’où la géopolitique ne sera pas absente, entre la Chine et les USA. Les athlètes russes n’étant pas acceptés dans leur treillis, leur absence montrera une fois encore la fragilité des intentions de ce rendez-vous. Les Jeux trouvent leur légitimité chez de nombreux auteurs, de nombreux intellectuels amoureux du sport, avec cette dimension de célébration de la vie qui en font un territoire de paix par essence, avant même d’en sublimer la volonté.
Pour souligner cet enracinement dans le terreau de notre humanité, on peut citer Hannah Arendt: «Les mouvements totalitaires sont des organisations massives d’individus atomisés et isolés». L’olympisme est l’inverse: une maïeutique de sueurs et d’affects, d’efforts, d’espérances, de douleurs et de joies. Ce creuset échappe aux règles du commerce qui le régissent, aux blessures des peuples, aux systèmes pervers de la domination. Il rassemble des femmes et des hommes venant embrasser leurs élans de victoire, tous ensemble, tous réunis pour vivre les uns avec les autres un rêve de commun sous les lauriers d’Olympie.
Dans notre monde aux couleurs de la critique, de l’invective des réseaux sociaux, des doutes et de l’inflation communautaire, les Jeux olympiques ont le parfum délicieux d’une fête ouverte à tous, d’une grande parade où les anonymes rient et s’amusent à côté des stars. Le brouhaha de la culture du clic lasse même les oreilles des addicts à l’écran. À force de conflits insignifiants et de soupçons complotistes, les moutons de Panurge du like et du unlike vont voir s’abattre les clôtures de leurs mondes virtuels, de leurs parcs à se cloner. Un espace-temps inédit va leur être offert, fait de réalité, de foulées libres et d’obstacles franchis. Au nom de toutes celles et tous ceux qui souffrent sous les bombes, les JO sont encore un espoir de paix. Nous n’avons pas le droit d’y renoncer.
Consultant et spécialiste des médias, Xavier Couture a fait toute sa carrière dans la presse et dans l’audiovisuel (TF1, Canal+...). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont La Dictature de l’émotion (éd. Audibert).
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