Europe : la menace intérieure

Jean-Christophe Bas

La présidence de la Hongrie à la tête de l’Union européenne montre un changement de stratégie inquiétant de la part de Viktor Orban et ce d’autant plus à l’heure où les élus nationalistes sont très présents au Parlement.
Le hasard du calendrier européen a fait coïncider l’entrée en fonction du nouveau Parlement européen avec la présidence tournante pour six mois de l’Union par la Hongrie le 1er juillet. Une présidence limitée en termes de pouvoirs réels par le pays qui l’exerce, mais certainement pas dénuée de portée symbolique et politique. Il n’aura d’ailleurs pas fallu attendre plus de cinq jours de sa présidence pour que Victor Orban se rende à Moscou rencontrer Vladimir Poutine dans le cadre d’une «mission de paix», s’affranchissant des restrictions imposées par les Occidentaux visant à isoler la Russie, ignorant par la même que le chef du Kremlin est sous le coup d’un mandat d’arrêt par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre. À l’issue de cet entretien, il a appelé à un cessez-le-feu en Ukraine, en rupture complète avec la position européenne de soutien total à Kiev. Agissant ainsi en contradiction avec le Traité d’Amsterdam énonçant que «les États membres appuient activement et sans réserve la politique extérieure et de sécurité de l’Union dans un esprit de loyauté et de solidarité mutuelle…Ils s’abstiennent de toute action contraire aux intérêts de l’Union ou susceptible de nuire à son efficacité en tant que force de cohésion dans les relations internationales».

L’échappée solitaire moscovite d’Orban sous une bannière européenne usurpée – suivie le 8 juillet d’une visite surprise à Pékin qualifiée pompeusement de «mission de paix 3.0» et d’un entretien avec Donald Trump à Mar-a-Lago – sans aucune concertation avec les autres chefs d’État et de gouvernement européens, a été immédiatement condamnée par le Parlement européen quelques jours plus tard pour s’être placé «en flagrante violation des traités de l’UE et de la politique étrangère commune» et par le président du Conseil, Charles Michel, rappelant «qu’il n’avait aucun mandat pour engager l’Union dans des contacts avec la Russie». Pour sa part, la Commission européenne a décidé de boycotter la présidence hongroise du Conseil de l’UE. La présidente Ursula von der Leyen a décidé que la Commission ne serait représentée au niveau des hauts fonctionnaires que lors des réunions informelles du Conseil, a annoncé le porte-parole en chef de l’exécutif. «La visite du collège à la présidence n’aura pas lieu», a-t-il ajouté, confirmant que l’événement majeur qui marque le début de chaque présidence tournante a été annulé.

Alors, M. Orban est-il isolé et va-t-il devoir s’incliner face au rouleau compresseur de Bruxelles et des États membres? Pas si simple. Orban n’a certainement pas renoncé à faire valoir sa vision de l’Europe, et pour atteindre son objectif, adopte une nouvelle stratégie. Avec «Make Europe Great Again» comme slogan sans équivoque pour cette présidence, il dévoile clairement son intention de changer l’Europe, mais désormais de l’intérieur. Conscients de l’échec cuisant du Brexit, les eurosceptiques, sous l’influence d’Orban, vont désormais tenter d’influencer la conduite du projet européen de l’intérieur et d’imprimer leur marque à Bruxelles. Ce que Pascal Lamy, ancien commissaire européen et ancien patron de l’OMC analyse parfaitement dans un entretien au magazine Le Grand Continent du 21 juin 2024: «Il a été celui qui a fait basculer l’extrême droite des positions anti-européennes du souverainisme à la papa, “sortie de l’Europe, à bas l’Europe, vive la nation”, à “notre objectif c’est de participer au pouvoir européen, d’exercer le pouvoir européen, et donc on fera ça de dedans, au lieu de prétendre qu’il faut être dehors”.»

Pour ce faire, Orban a été à la manœuvre au lendemain de l’élection européenne avec la création dès le 30 juin du groupe Patriotes pour l’Europe, en en faisant la troisième force politique au sein du nouveau Parlement, rejoint quelques jours plus tard par le RN et des parlementaires de 12 pays européens. Patriotes pour l’Europe affirme dans son manifeste, adopté à Vienne, sa détermination à lutter notamment contre le soutien militaire à l’Ukraine, pour la famille traditionnelle et alléger les contraintes environnementales. Et le plaçant ainsi en position stratégique pour composer des alliances indispensables pour constituer des majorités et peser sur les décisions de la Commission et du Conseil, alors que dans le précédent Parlement les troupes du Fidesz d’Orban étaient atones, siégeant parmi les non-inscrits. Un engagement à prendre d’autant plus au sérieux que les élus nationalistes, si on additionne les trois composantes Patriotes pour l’Europe d’Orban et Le Pen, Conservateurs et réformistes européens de Meloni et Europe des nations souveraines de l’AfD, elles représentent une force politique équivalente à celle du PPE – le parti de centre-droit qui domine le Parlement européen – à un siège près! Bien que divisés sur l’Ukraine, leur puissance numérique va leur permettre de peser sur des politiques majeures sur lesquelles ils sont d’accord, telles que l’environnement, l’immigration, les droits individuels et collectifs. Et ce d’autant plus que, bien que réélue à la tête de la Commission, la position de Mme von der Leyen reste fragile, particulièrement au sein de sa propre formation, le PPE, qui ne l’a soutenue qu’à une courte majorité lors de son congrès de Bucarest en mars dernier comme sa candidate à la tête de la Commission alors qu’elle était la seule candidate en lice.

D’ailleurs, hormis sur la question du soutien à l’Ukraine, les relations entre Orban et Meloni restent cordiales et alignées sur un certain nombre de priorités politiques. En septembre 2023, la Première ministre italienne avait fait le déplacement à Budapest pour participer au Sommet de la démographie, une plateforme pour la défense de la famille traditionnelle et Europe créée par Orban, affirmant que «la famille est la clef de la sécurité». Orban, de son côté, s’est rendu à Rome le 24 juin dernier pour rencontrer Meloni dans la cadre de sa présidence européenne et a déclaré: «nous nous engageons à renforcer les partis de droite européens, même si nous ne faisons pas partie du même groupe». Une identité de vue entre les deux leaders européens qui s’est d’ores et déjà concrétisée pour mettre en pièce le Green Deal, un ensemble de textes législatifs pour permettre au continent de respecter l’Accord de Paris et d’enrayer la chute de la biodiversité adoptée en 2019 à l’initiative de von der Leyen,

Fort de son rôle de président de l’Europe jusqu’à la fin de l’année, Orban entend bien profiter du vide de leadership européen lié à l’affaiblissement du président Emmanuel Macron et la frilosité du chancelier Olaf Scholtz pour faire valoir sa vision d’une Europe «great again».  

Jean-Christophe Bas est vice-président de l’Institut Aspen France et chargé de cours à l’IRIS Sup. ...

La présidence de la Hongrie à la tête de l’Union européenne montre un changement de stratégie inquiétant de la part de Viktor Orban et ce d’autant plus à l’heure où les élus nationalistes sont très présents au Parlement. Le hasard du calendrier européen a fait coïncider l’entrée en fonction du nouveau Parlement européen avec la présidence tournante pour six mois de l’Union par la Hongrie le 1er juillet. Une présidence limitée en termes de pouvoirs réels par le pays qui l’exerce, mais certainement pas dénuée de portée symbolique et politique. Il n’aura d’ailleurs pas fallu attendre plus de cinq jours de sa présidence pour que Victor Orban se rende à Moscou rencontrer Vladimir Poutine dans le cadre d’une «mission de paix», s’affranchissant des restrictions imposées par les Occidentaux visant à isoler la Russie, ignorant par la même que le chef du Kremlin est sous le coup d’un mandat d’arrêt par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre. À l’issue de cet entretien, il a appelé à un cessez-le-feu en Ukraine, en rupture complète avec la position européenne de soutien total à Kiev. Agissant ainsi en contradiction avec le Traité d’Amsterdam énonçant que «les États membres appuient activement et sans réserve la politique extérieure et de sécurité de l’Union dans un esprit de loyauté et de solidarité mutuelle…Ils s’abstiennent de toute action contraire aux intérêts de l’Union ou susceptible de nuire à son efficacité en tant que force de cohésion dans les relations internationales». L’échappée solitaire moscovite d’Orban sous une…

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