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Par Xavier Couture
Un pays à bout de souffle réclame la mobilisation des bonnes volontés. Les Français sont bien plus responsables que leurs dirigeants.
Décembre: entre le Black Friday et Noël nous avons froissé des kilomètres de papier cadeau en les entourant de rubans multicolores tirebouchonnés en serpentins. Voilà de quoi nous consoler de la perte des quelques millions de Nordmann ou de Douglas innocents dont les épines ont fini par tomber sur nos parquets. La fête est finie et le Père Noël a rangé sa barbe blanche et son beau costume rouge en pilou-pilou. Pour les journalistes la période est au marronnier. Ils peuvent nous refaire le détail du budget dépensé par nos compatriotes pour passer dignement le 25 décembre en famille avant d’enterrer l’année, le champagne à la main, dès la semaine suivante. Budget dites-vous? Ah! mais c’est qu’en 2024 le seul budget qui vaille est celui dont une assemblée de joyeux tourlourous prompts à l’invective étaient censés faire cadeau au pays. Alors, en petits Français bien sages, nous avons mis nos souliers devant notre Chambre, je veux parler de celle où les députés, le front lourd, pénétrés de leurs responsabilités démocratiques se rassemblent pour parler de nous. Ils sont chargés de concevoir ce qui pourrait nous faire du bien, ou peut-être même nous faire plaisir. Diable! Mais que s’est-il donc passé? Ils nous auraient oubliés! Naïfs, nous imaginions que leurs préoccupations étaient dignes, vitales, totalement dévouées à l’intérêt collectif, à la prospérité de tous, voire, on a le droit de rêver, à notre bonheur. Mais dans cette grande bâtisse nommée Palais Bourbon on se demande qui est d’accord avec qui et qui sera le premier, en secret, à trahir son voisin, tout en nouant une alliance avec un ennemi de la veille abandonné dès le lendemain? Pourtant nous étions prêts à y croire, ils nous l’avaient juré, la main sur le cœur, en arpentant les marchés, en quête de notre voix pour l’élection législative express bricolée en urgence après la dissolution. Ils allaient changer, devenir adultes, prendre la mesure des difficultés, redresser le pays à la dérive, nous offrir la lune en restaurant l’union sacrée au service de tous et de chacun. C’était beau comme un cantique d’espérance.
Ils nous l’avaient juré. Ils allaient changer, devenir adultes, redresser le pays.
Las, nous déchantons. Nous sommes comme la Petite Marchande d’allumettes d’Andersen, le mirage des promesses s’est volatilisé, évaporé. Il ne restait plus à ces illusionnistes de l’idéologie en solde que le plaisir de nous saccager Noël. Voici une comptine de circonstance que l’on pourrait entendre dans leurs bouches trop souvent incultes: «Jingle Bells? Quoi? j’engueule qui?» Nos élus ayant une maîtrise approximative des langues étrangères, ils préfèrent se limiter aux onomatopées. Devant cette inconscience d’enfants gâtés, et en nous penchant sur le gouffre béant de nos finances publiques nous pourrions paraphraser Jacques Chirac parlant du réchauffement climatique: «La dette flambe et nous regardons ailleurs.»
On a enlevé le sapin, citoyens! Vous pouvez ranger vos chaussures. Espérons que la semelle tiendra bon car nous ne sommes pas certains de pouvoir payer le cordonnier. Un Père Noël d’un autre genre, à la mine sévère, sanglé dans son costume new-yorkais nous a déposé un présent qui n’augure rien de bon pour l’avenir. Il n’habite pas Rovaniemi mais campe du côté de Wall Street, une petite rue fort coquète de Manhattan où se décide la valeur de nos finances. Il nous fait les gros yeux quand nos comptes se placent obstinément sous le signe du moins, très mal vu dans le zodiac des agences de notation. «Bonjour, je m’appelle Standard & Poor’s, on m’a demandé de décorer votre beau sapin de Noël fait de boules d’illusions et d’étoiles éteintes.» En français, les mots ont parfois plusieurs sens, c’est ainsi qu’on peut décorer le sapin en l’enguirlandant, mais si la famille d’accueil fait preuve d’une totale irresponsabilité ça risque d’être son tour. Cette histoire nous conte un poème exprimé en dollars: n’attends aucun cadeau du réel, et surtout pas à Noël. Et même si la rime est pauvre, elle le sera toujours moins que nous. Standard & Poor’s n’a pas voulu gâcher la trêve des confiseurs: «Mauvais élève France, tu diras à tes citoyens qu’il faudrait penser à payer l’addition, le Père Noël ne peut plus rien pour toi, d’ailleurs il est rentré chez lui. Quant à moi je t’accorde un sursis, mais je t’ai à l’œil.» Et nos politiques de ronchonner: «Ah! qu’ils sont rudes ces financiers qui ne veulent pas nous laisser creuser le trou comme on en a envie. C’est quoi cette obsession à vouloir distribuer des notes.»
Pour l’heure nous conservons notre AA-. Comme dit la chanson, pour nous ça ne veut pas dire grand-chose, mais pour eux ça veut dire beaucoup. Ça veut dire que le modèle est en danger et que les murs se lézardent. Les mégaphones de l’hémicycle peuvent continuer à brailler en se comptant et en se recomptant, comme des soldats éméchés portant leur démocratie débraillée en bandoulière. Ils répètent leurs convictions prémâchées avec les mains posées sur les hanches, en poissardes insultant l’avenir, dans une arrogance obscène, farcis de leurs certitudes comme des dindes et des chapons bien trop cuits. Pendant ce temps-là Madame et Monsieur Martin, Lysiane, Stéphane et Ali, Marianne, Charlotte et Zineb, tous les visages de la France ordinaire qui se croisent dans nos villes et nos campagnes font leurs comptes, vraiment pas folichons. Ils ont bien envie de demander aux artistes du gouffre à euros de présenter les leurs, et les leurres et toutes les erreurs qui nous ont mis au fond de la classe avec notre AA- en sursis, en attendant pire.
Reste-t-il quelques hommes d’État? Un pays à bout de souffle réclame la mobilisation des bonnes volontés qui veulent encore résister. Les Français sont beaucoup plus responsables que leurs dirigeants. C’est une novation, conséquence de l’abreuvoir à hostilités décérébrées des réseaux sociaux. Ceux qui pensent trouver la vérité de l’opinion dans ce cyclotron à nourrir l’hostilité se trompent. Le chantier de la tripartition n’intéresse plus. Quant au monde médiatico-politique il court dans tous les sens, peuplé de canards sans tête prêts à se partager le butin: qu’on les nomme audiences ou électeurs, ils s’en moquent du moment que ces gogos payent l’addition.
Dans la société de 2025 il n’y a ni femmes ni hommes providentiels. Pendant des décennies les politiques ont pris le peuple pour un jardin d’enfants auxquels il fallait offrir des bonbons payés à crédit pour qu’ils continuent à plébisciter la maîtresse. Mais nous sommes menacés d’une grave crise de diabète, trop de sucre dans nos finances, trop de taux d’intérêt à peine soutenables, de spreads indécents, de marchés qui ricanent, de pays émergents qui nous submergent. La France a toujours su se mobiliser quant il fallait sauver la patrie. Allons-y de nos références historiques, tartes à la crème de l’espoir des lendemains qui cessent de pleurer, à défaut de chanter. Voici Jeanne d’Arc, et Turenne, souvenons-nous de Foch et De Gaulle, et de tant d’autres. Mais il faut se faire à la réalité de notre temps: les grands sauveurs ont disparu, emportés par les nouvelles règles de nos sociétés connectées. La mobilisation doit être réinventée, à hauteur de citoyen, en utilisant la puissance des réseaux sociaux pour que l’électrochoc de la prise de conscience d’un indispensable redressement gagne les cerveaux, les cœurs et les âmes. Il nous faut réparer le pays. Il nous faut réapprendre la politique, au sens propre, cet art donné au citoyen de veiller à son destin commun. Il va falloir s’y mettre tout de suite si l’on espère revoir un jour le Père Noël.
Consultant et spécialiste des médias, Xavier Couture a travaillé dans la presse et l’audiovisuel notamment TF1, Canal+ et Orange....
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