Existe-t-il encore une place pour la gauche sur l’échiquier politique en France ?
Où va la gauche? Depuis plus de deux ans, mais surtout depuis plus d’un siècle, les stratégies de conquêtes électorales prennent la forme de sujets de fond, de politique à part entière. Aux enjeux arithmétiques s’adossent ainsi des questions de fond: y a-t-il compatibilité morale et, le cas échéant, à partir de quand ces différends doivent-ils contrarier les stratégies d’union? Au fond, la question récurremment soulevée est celle que posait il y a quelques années de cela Christophe Prochasson: la gauche est-elle morale?
L’existence de positions «irréconciliables», pour reprendre le terme polémique, nous apparaît irréfutable. En témoigne la résurrection d’un clivage ayant trait à l’antitotalitarisme qui met en difficulté l’idée d’un socle de valeurs élémentaires à gauche. Ce constat valide-t-il pour autant l’existence de «deux gauches irréconciliables»? C’est davantage la lecture d’une grande famille comme perçue comme scindée en deux de manière rigide et ordonnée que nous tenons pour paresseuse et insuffisante. Cette lecture ne résiste pas à l’examen attentif des clivages – articulés autour du degré d’importance attribué à certains enjeux et de la nature du traitement qui leur est réservé –, clivages dont les parties prenantes varient au gré des enjeux.
À l’heure où les diverses entreprises habilement menées par l’extrême droite semblent plus que jamais porter leurs fruits, une stratégie de conquête pensée autour de la maximisation d’un potentiel électoral permettant la qualification au second tour, mais éteignant dans le même temps tout espoir de victoire finale est non seulement une impasse stratégique, mais aussi un renoncement moral. La seule radicalité ne fait pas une politique et la fin ne peut justifier les moyens: le combat que la gauche doit mener contre l’extrême droite ne peut en épouser ni la grammaire ni les dispositifs théoriques. La grandeur non seulement de la gauche, mais de toutes les forces politiques qui entendent honnêtement lutter contre la perspective d’une victoire réactionnaire en 2027 se mesurera dans leur capacité à rester fidèles aux principes qui les animent, comme dans leur capacité à se faire la violence de douter et de penser contre eux-mêmes.
À cette exigence s’ajoute encore celle de la cohérence, marque de respect envers les citoyennes et les citoyens qui accordent leur confiance par le vote. Ce n’est pas en assimilant un supposé «wokisme» à l’extrême gauche que l’on parviendra, quoi que l’on pense du qualificatif, à éteindre ce qu’il peut recouvrir de pire. C’est au contraire en rappelant aux responsables de ces dérives qu’ils empruntent leurs arguments à des traditions politiques dont ils se pensent éloignés, les traditions conservatrice et réactionnaire, que l’on parviendra à débrancher et à toucher le point sensible d’une frange politique obnubilée par la pureté de sa conception de la gauche et du progrès. Dénoncer le décalage, quand il a lieu, entre paroles et actes en politique ne suffit pas. Une vigilance d’une autre nature s’impose: celle de l’ordre des idées et des positions. Le cherry picking de la vie politique n’est pas un signe de bonne santé démocratique, pas plus d’ailleurs qu’il n’est un signe de mauvaise santé démocratique. Il est en revanche le signe de la dilution d’une exigence d’autant plus noble qu’elle n’est pas toujours récompensée par la voix des urnes.
Le schéma unitaire peut indéniablement recouvrir sa part de courage dans le dépassement des différends. Mais la grandeur de la gauche ne peut, à la fin des fins, consister que dans la fidélité, parfois coûteuse à court terme, à ce qu’elle porte comme ambition de progrès et aux leçons de l’histoire. Faire front quand il le faut face à la possibilité que les forces réactionnaires accèdent à l’exercice du pouvoir ne peut s’accommoder du développement d’affects réactionnaires au sein même de la grande famille des progressistes. Cette exigence est d’autant plus précieuse que l’appel à l’union sera dépourvu de sens et rendu inaudible si la gauche tolère le développement en son sein de vues théoriquement symétriques à celles contre lesquelles elle entend se dresser.
Responsable des études politiques et publiées chez Viavoice, Adrien Broche est l’auteur de Portrait moderne de la gauche française (éd. L’Aube)....
Existe-t-il encore une place pour la gauche sur l’échiquier politique en France ? Où va la gauche? Depuis plus de deux ans, mais surtout depuis plus d’un siècle, les stratégies de conquêtes électorales prennent la forme de sujets de fond, de politique à part entière. Aux enjeux arithmétiques s’adossent ainsi des questions de fond: y a-t-il compatibilité morale et, le cas échéant, à partir de quand ces différends doivent-ils contrarier les stratégies d’union? Au fond, la question récurremment soulevée est celle que posait il y a quelques années de cela Christophe Prochasson: la gauche est-elle morale? L’existence de positions «irréconciliables», pour reprendre le terme polémique, nous apparaît irréfutable. En témoigne la résurrection d’un clivage ayant trait à l’antitotalitarisme qui met en difficulté l’idée d’un socle de valeurs élémentaires à gauche. Ce constat valide-t-il pour autant l’existence de «deux gauches irréconciliables»? C’est davantage la lecture d’une grande famille comme perçue comme scindée en deux de manière rigide et ordonnée que nous tenons pour paresseuse et insuffisante. Cette lecture ne résiste pas à l’examen attentif des clivages – articulés autour du degré d’importance attribué à certains enjeux et de la nature du traitement qui leur est réservé –, clivages dont les parties prenantes varient au gré des enjeux. À l’heure où les diverses entreprises habilement menées par l’extrême droite semblent plus que jamais porter leurs fruits, une stratégie de conquête pensée autour de la maximisation d’un potentiel électoral permettant la qualification au second tour, mais éteignant dans le même temps tout espoir de…
