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par Philippe Zaouati
Cela commence par orienter l’investissement vers des solutions qui répondent aux grands défis climatiques, environnementaux et sociaux.
Nous vivons dans un monde qui vacille, mais les regards se détournent. Les questions environnementales et climatiques, jadis brandies comme des priorités vitales, reculent chaque jour un peu plus dans l’esprit des dirigeants, qu’ils soient économiques ou politiques. Et, pire encore, dans celui des populations. Ce recul n’est pas un hasard. Il est le fruit d’une mécanique implacable, d’un engrenage où inertie, compétition et fascination pour une croissance sans limite s’entremêlent.
La vérité est cruelle, mais il faut la dire: la croissance, cette pulsion presque viscérale, continue de régner sans partage. Elle est devenue l’obsession des États, des marchés, des multinationales. Elle est aussi l’aspiration légitime de milliards d’individus à travers le monde, qui refusent de voir leur avenir réduit à des injonctions de sobriété venues d’un Occident ayant déjà profité des fruits de cette même croissance. Pourtant, cette croissance n’est plus que l’ombre d’elle-même. Elle n’est ni juste, ni durable, ni porteuse de progrès réel. Elle s’alimente de domination, de destruction et d’illusions technologiques, tout en nous menant droit dans le mur.
Il est tentant de croire que les catastrophes naturelles suffiront à ouvrir les yeux. Mais c’est un mirage. Le choc des crises, loin de provoquer une prise de conscience, engendre souvent un repli sur soi. Plus les impacts climatiques s’aggravent, plus les discours s’enlisent dans le déni, la peur et la résignation. Car accepter la gravité de la situation, c’est aussi accepter la nécessité de remettre en question un système économique et social profondément enraciné. Et cela, ni les dirigeants ni les populations ne semblent prêts à le faire.
Cela commence par orienter l’investissement vers des solutions qui
répondent aux grands défis climatiques, environnementaux et sociaux.
Alors que faire? Il est hors de question d’abandonner. Mais pour avancer, il faut commencer par un constat clair: nous avons laissé la notion de progrès, autrefois porteuse d’humanisme et d’espoir, être capturée par la part obscure de la force. Aujourd’hui, la croissance est un outil de domination. Le progrès est devenu synonyme de performance économique et de compétition technologique, déconnecté de tout idéal collectif. Et, dans le même temps, ceux qui portaient autrefois les valeurs du progrès – ces idéologies progressistes et humanistes – ont déserté le champ de bataille. Face aux dérives du techno-optimisme et du capitalisme effréné, ils se sont repliés dans un rejet total de la croissance et de l’innovation. Ce renoncement, bien qu’animé par de bonnes intentions, est une erreur monumentale.
Le progrès, s’il est détourné de sa finalité, peut aussi être réorienté. L’innovation, si elle est corrompue, peut aussi être remise au service du bien commun. Ce n’est pas la technologie en soi qui est le problème, mais l’absence de vision, de cadre éthique, d’un projet collectif pour guider son usage. Ce n’est pas la croissance qui est l’ennemi, mais la croissance aveugle, celle qui ignore ses propres limites et oublie ses responsabilités.
Nous ne pouvons pas nous contenter de rejeter en bloc ce qui ne fonctionne pas. Nous devons le transformer. Se réapproprier le progrès, ce n’est pas se contenter de rêver d’un avenir meilleur: c’est agir avec méthode et discernement. Cela commence par orienter l’investissement vers des solutions qui répondent aux grands défis climatiques, environnementaux et sociaux. Ce n’est pas une question de moyens, mais de priorités. Nous savons où investir. Les technologies vertes, les énergies renouvelables, la réhabilitation des écosystèmes, la santé, l’éducation: tout cela doit être au cœur de l’effort collectif.
Se réapproprier le progrès, c’est aussi sélectionner les innovations avec rigueur. Tout ce qui est nouveau n’est pas nécessairement bon. Nous devons mettre fin à cette obsession pour l’innovation aveugle, qui détruit autant qu’elle promet. L’intelligence artificielle, les biotechnologies, les systèmes énergétiques alternatifs: ce sont des outils puissants, mais ils doivent être guidés par une éthique claire, par une finalité tournée vers le bien commun. Il est temps d’imposer des garde-fous et d’en finir avec l’idée que tout progrès technologique est un progrès en soi.
Enfin, se réapproprier le progrès, c’est offrir un nouvel horizon aux populations. Ce n’est pas en parlant de décroissance et de renoncement que nous mobiliserons les énergies humaines. Nous devons proposer un projet porteur d’espoir, une vision dans laquelle chacun trouve sa place. Cet horizon, ce n’est pas la promesse d’un monde sans limite, mais celle d’un monde plus juste, plus équilibré, où innovation rime avec résilience, et croissance avec durabilité.
C’est ainsi que nous pourrons reprendre le contrôle. Non pas en opposant technologie et humanisme, croissance et environnement, mais en reconstruisant un progrès qui transcende ces oppositions stériles. Il n’y a pas de place pour la naïveté dans cette bataille. Ce qu’il faut, c’est de la clarté, de la détermination, et surtout du courage.
Dirigeant d’entreprise engagé dans la transition écologique depuis plus de dix ans, Philippe Zaouati a contribué au développement de la finance durable, notamment en étant membre du groupe d’experts de la Commission européenne. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont quatre romans....
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