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Jean-Vincent Bacquart
la fabrique de la démocratie
Si la création du corps des sapeurs-pompiers date de l’Empire, l’organisation de troupes chargées de lutter contre le feu se retrouve dès la Rome antique.
Après cet été caniculaire, les pompiers, professionnels ou volontaires, militaires ou civils, n’ont sans doute jamais aussi bien mérité leur surnom de « soldats du feu ». Mais, bien plus qu’une image forte dont la presse est friande, ce terme guerrier entre en résonance avec un événement vieux de deux siècles : la création du corps des sapeurs-pompiers sous l’Empire.
La lutte contre le feu a toujours été une préoccupation des sociétés humaines. Le grand incendie de Rome de l’an 64 ne doit pas occulter le fait que la cité disposait, par exemple, d’un corps de vigiles urbani, – littéralement « les yeux de la ville » – chargés de combattre les incendies. Quelques siècles plus tard, les cités médiévales, quant à elles, pouvaient compter sur certains corps de métiers spécialistes du bâti, maçons ou charpentiers. On se contentait souvent de détruire des habitations pour éviter la propagation du feu, car la capacité à projeter de l’eau était dérisoire.
En France, l’Ancien Régime fut témoin d’une évolution notable dans la lutte contre le feu : l’introduction des pompes à eau. Un étrange concours de circonstances fit alors d’un acteur de la Comédie française, François Du Mouriez, le « premier pompier professionnel » de France. Revenu de Hollande, où il avait découvert l’ingénieux système de pompes, le comédien avait effectué en 1699 une démonstration devant le Roi-Soleil. Impressionné, le monarque lui avait accordé l’exclusivité de la fabrication et de la commercialisation de l’engin pour la France. Son expertise aidant, Du Mouriez fut choisi par le Régent en 1716 pour diriger le nouveau service des pompes à incendies de Paris.
La Révolution puis le Consulat ne bouleversèrent pas l’organisation des corps de gardes-pompes, ou « pompiers ». Chaque municipalité conservait toute latitude pour lutter contre l’incendie, en fonction de ses besoins et de ses moyens financiers. À l’époque, Paris échappait toutefois à la règle avec 200 hommes placés sous l’autorité du préfet de la Seine. Sensément militarisée, cette troupe manquait toutefois de moyens et dépendait toujours de la ville de Paris pour les soldes. Une dualité organisationnelle qui allait bientôt être corrigée à la faveur d’un tragique événement.
Le 1er juillet 1810 au soir, l’ambassade d’Autriche à Paris résonne de mille et un bruits de fête. Deux mille personnes ont répondu à l’invitation lancée par le prince de Schwarzenberg, maître des lieux, pour y célébrer le récent mariage de Napoléon avec l’archiduchesse Marie-Louise d’Autriche. L’empereur et la nouvelle impératrice sont présents. Alors qu’un premier départ d’incendie, dû à un feu d’artifice, a été discrètement circonscrit, le bal se poursuit. Un peu avant minuit, une bougie enflamme un voilage. Cette fois, rien n’arrête le feu. Il saute d’un rideau à un élément de décor, d’une perruque à une lame de parquet. Les quelques pompiers présents, commandés par Napoléon lui-même, sont impuissants. Une fois rentré au château de Saint-Cloud, l’Empereur est démoralisé. Son valet se souvient : « [il] narre alors la catastrophe avec une émotion que je ne lui ai vue que deux ou trois fois en sa vie […]. »
Historien, éditeur,
Jean-Vincent Bacquart
est doctorant à Sorbonne Université, attaché au Centre d'histoire du XIXe siècle. Ses recherches portent sur les ordres religieux et militaires, dont l’ordre du Temple et ses résurgences apparues aux XVIIIe et XIXe siècles.
Bien que les historiens actuels supposent que le drame a fait plusieurs dizaines de morts, la presse de l’époque ne reconnaît qu’une victime : la princesse Pauline Charlotte d'Arenberg-Hohenfeld, belle-sœur de l'ambassadeur. C’est que les journalistes sont soumis à la censure, le pouvoir napoléonien ne pouvant accepter que le désastre soit médiatisé. Cependant, témoin des carences du système, Napoléon va créer par décret du 18 septembre 1811 un nouveau corps de lutte contre le feu pour la ville de Paris. Dorénavant, les 576 hommes de cette unité supporteront les obligations de tout militaire : casernement, uniforme, inspection, entraînement, discipline. Compte tenu de la proximité de leurs missions avec celles confiées aux sapeurs du Génie – construction, terrassement, etc. – ces hommes seront maintenant désignés comme « sapeurs-pompiers ». Limité originellement au bataillon organisé par l’Empereur, ce terme se répandra bientôt partout en France, s’appliquant à toutes les unités civiles mises sur pied dans le cadre de la loi de 1831, sous l’égide de la garde nationale....
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