Portrait

Daniel Pennac, plume trempée à l’encrier du réeL

Par Marine Brugier-Dutournier et Charles-Alexandre Haddad

Alors qu’il a soufflé cet hiver sa 80e bougie, le plus bellevillois des écrivains français continue de puiser autour de lui la matière d’une œuvre littéraire aussi riche que facile d’accès. Rencontre avec un alchimiste du texte.
À la fin de l’année 2024, quelques semaines avant de fêter ses 80 ans, l’écrivain Daniel Pennac a retrouvé son lectorat avec la parution de son dernier roman, Mon assassin, et la sortie chez Folio d’un coffret illustré par Jacques Tardi rassemblant les huit volumes de La Saga Malaussène. Dans Mon assassin, texte original, un enfant se kidnappe pour faire payer une rançon à ses parents et financer son projet de devenir un grand maître chanteur. La figure du cruel assassin Pépère, croisée dans Terminus Malaussène apparaît sous les traits de cet enfant.
Comme toujours, Daniel Pennac nous emmène dans son univers déroutant, bien construit, entre réminiscences intimes et intrigue originale. L’auteur lance un pari rafraîchissant à son public:
«Dans Mon assassin, les passages liés à ma biographie amicale (lorsque je cite notamment mes amis morts dont les photos sont dans ma bibliothèque) alternent avec les passages à propos de l’enfant Lassalve, qui sont de pures fictions. J’ai essayé de faire en sorte qu’un rythme se crée entre les passages d’invention et ceux décrivant mes souvenirs, et que ce rythme soit entraînant! Mais ce sont les lecteurs qui me diront si cette tentative a fonctionné ou non. C’est la première fois que je fais ça!»
Pourtant, cet exercice d’apparence expérimentale incarne de son propre aveu l’essence même de toute tentative littéraire:
«Le mystère romanesque se trouve dans le travail de l’écriture, dans l’alchimie de l’écriture. Pour tout romancier, écrire c’est ça. Ce n’est que ça: manier cette alchimie, pour faire de l’individu ou de l’événement véritable un élément du récit fictionné. Mais je ne peux évidemment pas vous dire précisément comment cela fonctionne! Lorsque vous lisez dix lignes de Louis-Ferdinand Céline vous savez que vous êtes dans du Céline, quand vous lisez dix lignes de Proust, c’est la même chose! Et leur musique est le résultat de toutes leurs alchimies.»
Mon parti pris littéraire c’est de produire une écriture qui donne la sensation de l’oralité, alors qu’elle est en réalité très écrite.

Comme ces grands noms de la littérature du xxe siècle, Daniel Pennac poursuit une quête stylistique, et tente de bâtir une identité romanesque reconnaissable:
«Moi, mon parti pris littéraire c’est de produire une écriture qui donne la sensation de l’oralité, alors qu’elle est en réalité très écrite… au fond j’écris et je fiche beaucoup de pages en l’air pour aboutir à un style qui paraisse spontané, oral, et reconnaissable comme ma voix! C’est un long travail de maçon, d’artisan… Et c’est très lent… Je mets énormément de temps à écrire des choses destinées à être lues très vite! [Rires] Les dialogues par exemple, c’est encore plus rythmique que le reste! Il y a une poétique dans les dialogues! Exactement comme lorsque deux personnes habituées à se parler échangent ensemble! Elles se contredisent, elles plaisantent, se renvoient la balle, il y a un rythme et une poétique qui leur est propre. Et j’essaye de reproduire ça dans le roman!»
Tout romancier, consciemment ou inconsciemment tisse des liens entre le réel et la fiction.
Plutôt qu’à Louis-Ferdinand Céline qui toute sa vie durant cherchait «à transcrire l’émotion de la langue orale dans la littérature», cette tentative semble plutôt avoir quelque parenté avec celle de l’écrivain belge Georges Simenon, dont les procédés ont donné un goût si particulier à son œuvre, l’immunisant presque entièrement contre la fuite du temps.
«Les premiers livres de Simenon – qui est né dans les années 1900 – sont sortis à la fin des années 1920, donc il y a un siècle! Et si nous le lisons aujourd’hui nous pourrions croire, par la netteté et la précision de son style, que le livre a été écrit hier. Et ça, ça tient à une chose: les phrases de Simenon sont presque sans adjectifs et sans adverbes. Ce sont des phrases simples, ne contenant quasiment que des propositions indépendantes. Très peu de phrases complexes, un vocabulaire, un lexique extrêmement précis et donc une grande simplicité grammaticale et stylistique, grâce à laquelle aujourd’hui on peut prendre n’importe quel Simenon qui a un siècle sans se sentir dépaysé en le lisant.»
Finalement, l’écriture de son dernier ouvrage semble avoir ouvert chez Daniel Pennac différentes pistes de réflexion, notamment à propos de la genèse et des nombreuses influences exogènes de son œuvre:
«Tout romancier, consciemment ou inconsciemment tisse des liens entre le réel et la fiction. J’ai fait le constat que la plupart de mes personnages de fiction devaient beaucoup à mes amis, aux personnes qui m’ont entouré dans ma vie! Le principe premier de mes amitiés, une des caractéristiques communes à tous mes amis, c’est leur caractère romanesque. Chacun d’entre eux a une appréhension du réel qui me surprend toujours. Soit par la façon dont ils l’expriment soit par leurs actions en elles-mêmes.»
Dans cette introspection, il invoque particulièrement la mémoire de son frère, à qui il consacra l’écriture d’un roman simplement intitulé Mon frère, paru en 2018 aux éditions Gallimard.
«Tous mes amis morts me manquent énormément. Particulièrement mon frère Bernard, que j’ai perdu il y a une quinzaine d’années et dont le regard sur le monde m’a beaucoup construit. C’est un garçon qui m’a élevé. Quand je suis né, j’ai partagé sa chambre, jusqu’à mes 15 ans. Il a été pendant quinze ans un ravissement sidérant. Il était d’une très grande gentillesse avec moi. Mais d’une gentillesse pensante! Qui raisonnait. D’une gentillesse constructive. Ce n’était pas un sentimental. Et il y a beaucoup de ça dans Malaussène.

L’auteur de Mon assassin a également écrit une multitude d’essais, de bandes dessinées ou de livres pour enfants. Pourtant, il refuse l’épithète touche-à-tout

Malaussène ça pourrait presque être la réincarnation de mon frère Bernard dans le rapport qu’il entretient avec ses six frères et sœurs. Là, il y a une vraie influence! Il est constamment constructif et constamment éclairant. Et c’est vraiment ce qu’était mon frère pour moi.»
Si l’exemple de son frère Bernard a semé les premières graines de sa fameuse saga bellevilloise, l’auteur de Chagrin d’école a également puisé dans la culture philosophique et sociologique de quoi bâtir cette série romanesque ayant grandement contribué à sa notoriété:
«Le vrai départ de La Saga Malaussène, c’est ma lecture du philosophe René Girard qui a développé le thème du bouc émissaire, du désir mimétique, etc., et qui me passionnait énormément. Lorsque j’étais professeur, j’ai toujours voulu éviter les phénomènes de bouc-émissarisation dans mes classes. Un jour, je suis tombé sur un essai de Girard qui théorise cela. Je lui ai écrit pour lui dire que je trouvais son travail fondamental. Je lui ai dit toute mon admiration et ma volonté de populariser son concept en imaginant un personnage qui serait salarié pour se faire engueuler à la place des autres! Un bouc-émissaire professionnel! Au même moment un ami me reprochait de ne rien connaître de la “Série noire”. Il m’a donc donné 15 titres de cette collection, et je les ai lus! Et en lisant, j’ai été frappé par leur caractère sociologique. Le roman noir est presque toujours un roman social. Surtout le roman noir français des années 1980. Ça m’a passionné! Finalement ces deux intérêts, pour Girard et pour le roman noir, se sont mélangés: c’est comme ça que sont nés les Malaussène. Puis il se trouve que j’habite Belleville depuis 1969! J’ai fait avec ce que j’avais sous les yeux!»
L’auteur de Mon assassin a également écrit une multitude d’essais, de bandes dessinées ou de livres pour enfants. Pourtant, il refuse l’épithète touche-à-tout et apporte quelques explications à propos de cette diversité de styles et d’occupations:
«Je ne me qualifierais pas de touche-à-tout. Une multitude de choses que j’aime m’échappent complètement! J’aimerais être musicien ou peintre par exemple, alors que j’en suis incapable. Je ne suis qu’un narrateur. Un homme qui raconte des histoires. Si j’étais africain, je serais griot. Ma façon de recevoir le monde et de le restituer est narrative. Quand j’étais enfant, la première chose que je faisais en rentrant était de raconter ma journée à mon frère. J’ai toujours raconté. La variété de styles littéraires que j’emploie vient de la nature du sujet que je choisis. C’est pour cela que j’ai pu utiliser différents styles pour m’exprimer. Mais cela ne fait pas de moi un touche-à-tout!
La variété de styles littéraires que j’emploie vient de la nature du sujet que je choisis.
Par exemple, lorsque j’écris pour des enfants j’ai instinctivement le souci de la phrase simple et de la précision du vocabulaire, mais cette simplicité n’est que formelle. Les thèmes restent ceux de la littérature adulte: amitié, mort, sauvagerie, prison, guerre, climat, etc. Les thèmes restent les mêmes. Il ne faut pas bêtifier les enfants!»
Ainsi, créateur d’une œuvre variée, Daniel Pennac a été récompensé en 2023 du Grand prix de littérature de l’Académie française, à propos duquel il plaisante volontiers:
«Quand j’ai reçu le grand prix de l’Académie, je me suis aperçu que ma vie avait passé, que j’avais vécu plus d’années qu’il ne m’en restait! [rires]»
Tourné vers l’avenir, entre introspection et humour, souvenirs et créativité, le père de la Saga Malaussène n’a pas terminé de ravir ni de surprendre ses lecteurs…

 

 

 

Mon assassin de Daniel Pennac,
éd. Gallimard, 160 p., 18 €

 

 

 

 

 

La Saga Malaussène de Daniel Pennac,
éd. Folio, coffret de 8 volumes, 76 €....

Alors qu’il a soufflé cet hiver sa 80e bougie, le plus bellevillois des écrivains français continue de puiser autour de lui la matière d’une œuvre littéraire aussi riche que facile d’accès. Rencontre avec un alchimiste du texte. À la fin de l’année 2024, quelques semaines avant de fêter ses 80 ans, l’écrivain Daniel Pennac a retrouvé son lectorat avec la parution de son dernier roman, Mon assassin, et la sortie chez Folio d’un coffret illustré par Jacques Tardi rassemblant les huit volumes de La Saga Malaussène. Dans Mon assassin, texte original, un enfant se kidnappe pour faire payer une rançon à ses parents et financer son projet de devenir un grand maître chanteur. La figure du cruel assassin Pépère, croisée dans Terminus Malaussène apparaît sous les traits de cet enfant. Comme toujours, Daniel Pennac nous emmène dans son univers déroutant, bien construit, entre réminiscences intimes et intrigue originale. L’auteur lance un pari rafraîchissant à son public: «Dans Mon assassin, les passages liés à ma biographie amicale (lorsque je cite notamment mes amis morts dont les photos sont dans ma bibliothèque) alternent avec les passages à propos de l’enfant Lassalve, qui sont de pures fictions. J’ai essayé de faire en sorte qu’un rythme se crée entre les passages d’invention et ceux décrivant mes souvenirs, et que ce rythme soit entraînant! Mais ce sont les lecteurs qui me diront si cette tentative a fonctionné ou non. C’est la première fois que je fais ça!» Pourtant, cet exercice d’apparence expérimentale incarne de son…

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