Kamel Daoud et les livres qu’il aurait voulu lire

Portrait d’un lecteur forgé par la pénurie et la ténacité dans une Algérie post-indépendance. Il y a dans la voix de Kamel Daoud une précision d’arpenteur et une rêverie tenue en laisse. Celle d’un homme pour qui lire n’a jamais été un loisir, mais un appel, presque une ruse contre le réel. L’éveil à la littérature s’est fait dans le manque, entre les murs d’une Algérie post-coloniale, où les livres étaient rares, presque sacrés, et parfois interdits au toucher. «Je me rappelle très bien… Il y avait une bibliothèque à l’école, mais on n’avait pas le droit de toucher les livres. On les regardait à travers une fenêtre, et on montrait du doigt celui qu’on voulait.» L’enfant qu’il était ne choisissait pas ses lectures, il les glanait. Des pages déchirées, retrouvées dans le quartier, comme des trésors accidentels. «Je lisais ce que je trouvais. L’auteur était accessoire.» Lire sans choisir, lire malgré tout. C’est dans cette forme d’aridité que s’est forgée une faim, plus vaste encore que le plaisir: une nécessité. Le premier livre emprunté ne fut pas une simple lecture, mais «la promesse de quelque chose de régulier». Le droit enfin à la continuité, à un monde qu’on pourrait retrouver. Ce n’est pas l’école qui l’a éveillé, elle l’a au contraire anesthésié. «Ce n’était pas une école de rêverie. […] On était à quelques années de l’indépendance: hymne national, héros de la guerre, martyrs… Ce n’était pas un champ d’imaginaire, c’était un champ de conditionnement.» Il y excelle, s’y…