Ski amer

François Thomazeau

Dans la radio du car, Marie Laforêt bêlait « Viens sur la montagne » comme pour nous narguer. Les grands avaient annexé la rangée du fond et tentaient de couvrir le son intermittent de Radio Monte-Carlo, seule radio captable sous nos latitudes, en évoquant à tue-tête les innombrables exploits de Bali Balo. Marie Laforêt finit par rendre les armes et le conducteur, encouragé par les « plus vite, chauffeur ! » braillés par les plus jeunes, se joignit au chœur écolier et entreprit même de nous apprendre une version personnelle de La Marseillaise où un « soldat sanglant se levait », ce qui le faisait beaucoup rire. Je ne comprends toujours pas pourquoi. 

Plus vite chauffeur, voire… Le fils du pharmacien n’était pas convaincu, qui aurait préféré qu’on ralentisse un peu la manœuvre. La tête penchée dans un sac en plastique, il rendait tous ses Pépito et avait la couleur des mélèzes étiques qui commençaient à parsemer le décor. Lors de la corvée annuelle de nos sorties au ski, les choses se gâtaient toujours à partir du Pont Mirabeau. Là, nous quittions la Provence paisible que nous aimions, la terre plate des caillasses blanches, des pins et des cigalons pour pénétrer dans un relief escarpé de roc grisâtres et d’épineux hostiles. La route, bien sûr, montait, descendait, tournait et tournicotait en tous les sens et nous changeait en Zébulons. Le manège enchanté de nos estomacs faisait déchanter nos petits déjeuners. 

Pourtant, le matin vers six heures, lorsque Maman nous avait déposé devant la place du lycée, elle avait bien veillé à ce que ces affreux sacs à carreaux, au fond en rond de cuir, accrochés à nos épaules frêles par des ficelles qui lacéraient la peau, fussent bien remplis de tout le nécessaire ; deux œufs durs, deux pâtes de fruit qui serviraient de projectiles, une banane déjà écrasée et qui bientôt mêlerait son arôme douceâtre à celle du vomi. 

La vision apaisante du lac de Serre-Ponçon nous donnait envie de pipi et nous nous arrêtions toujours après avoir franchi le pont qui enjambait la retenue pour vider nos vessies et le reste. Finalement, c’est déjà épuisés que nous atteignions La Seyne-les-Alpes et cet immense champ de neige où toutes les écoles des Bouches-du-Rhône s’agglutinaient le dimanche précédant les vacances de février pour initier les minots aux joies du ski. 

Des centaines de petites silhouettes noires dessinaient des curseurs sur l’écran blanc : beauté du chasse-neige. D’autres s’emballaient et filaient sur les fesses dans un joli geyser de poudre. 

Qui avait envie de les rejoindre ? Pas moi. 

D’abord on vous parquait dans un chalet graisseux où l’on vous flanquait dans les bras une paire de planches en bois d’une tonne et des croquenots à lacets rouges qu’avaient dû étrenner Émile Allais ou James Couttet. Les souliers étaient trop petits, ils boudinaient les orteils qui, au bout d’une heure de ski, gelaient sur pied. Les skis se fixaient par l’avant au moyen d’un clapet métallique à l’équilibre instable, et à l’arrière par une lanière qui prenait un malin plaisir à sauter dès que vous tentiez de tourner. Les bâtons étaient trop grands et vous donnaient l’allure empruntée de piteux albatros que nos ailes trop grandes empêchaient de glisser. ...

Dans la radio du car, Marie Laforêt bêlait « Viens sur la montagne » comme pour nous narguer. Les grands avaient annexé la rangée du fond et tentaient de couvrir le son intermittent de Radio Monte-Carlo, seule radio captable sous nos latitudes, en évoquant à tue-tête les innombrables exploits de Bali Balo. Marie Laforêt finit par rendre les armes et le conducteur, encouragé par les « plus vite, chauffeur ! » braillés par les plus jeunes, se joignit au chœur écolier et entreprit même de nous apprendre une version personnelle de La Marseillaise où un « soldat sanglant se levait », ce qui le faisait beaucoup rire. Je ne comprends toujours pas pourquoi.  Plus vite chauffeur, voire… Le fils du pharmacien n’était pas convaincu, qui aurait préféré qu’on ralentisse un peu la manœuvre. La tête penchée dans un sac en plastique, il rendait tous ses Pépito et avait la couleur des mélèzes étiques qui commençaient à parsemer le décor. Lors de la corvée annuelle de nos sorties au ski, les choses se gâtaient toujours à partir du Pont Mirabeau. Là, nous quittions la Provence paisible que nous aimions, la terre plate des caillasses blanches, des pins et des cigalons pour pénétrer dans un relief escarpé de roc grisâtres et d’épineux hostiles. La route, bien sûr, montait, descendait, tournait et tournicotait en tous les sens et nous changeait en Zébulons. Le manège enchanté de nos estomacs faisait déchanter nos petits déjeuners.  Pourtant, le matin vers six heures, lorsque Maman nous avait déposé…

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