Notez bien

Brigitte Benkemoun

Il mérite quelle note, le livreur de sushi ? Certes il a renversé la soupe miso sur les makis, mais il tombait des cordes, et le pauvre, descendant de son vélo, était lui-même bien plus trempé que le riz. Combien aussi pour la jeune standardiste qui, depuis un centre d’appels, au Maroc ou à l’île Maurice, récite mécaniquement le texte qui lui est imposé, sans comprendre que votre cas n’est pas encore référencé ? Et que dire encore à la SNCF de ce voyage en TGV inOui, qui ne l’était pas vrai- ment ? Recommanderiez-vous TGV à vos proches ? Quel est votre niveau de satisfaction ? Qu’avez-vous le plus aimé ? Qu’avez-vous le moins aimé ?

Surtout « dites-le avec vos mots »…

À tout bout de champ, il faut désormais évaluer, détailler, noter nos expériences de consommation. Combien d’étoiles pour un retard d’une heure dû à l’orage ? Quelle sanction pour le ton légèrement agacé du commercial qui n’en peut plus de répéter qu’il n’est pour rien dans l’augmentation des cours internationaux du gaz ? Quelle peine pour le livreur qui s’est trompé d’adresse ?

Aujourd’hui, le salarié ne vit plus sous le contrôle d’un petit chef tatillon, mais sous la menace de tout un bataillon de consommateurs impliqués, encouragés à passer leurs nerfs sur celui qui les a mal servis, leur a mal répondu, voire les a fait attendre. Notez, notez bien, que ce pouvoir vous appartient.

Le plus souvent, c’est un mail ou un SMS automatique qui vous somme de donner votre avis. Parfois, c’est l’employé lui-même qui tend la joue pour être fouetté ou caressé. Si l’échange s’est bien passé, il vous prévient que vous allez être amenés à l’évaluer et que sa situation dans l’entreprise en dépend. Alors notez, notez bien. Parce que, généralement, seuls les râleurs prennent le temps de répondre aux questions censées « améliorer le service ». Donc si vous êtes satisfait, s’il vous plaît, n’hésitez pas à le faire savoir.

Évaluer, c’est bien, mais dénoncer, c’est encore mieux. « Avant de monter dans le train, votre titre de transport a-t-il été vérifié à Nîmes ? » On serait tenté de cocher « non », mais que se passera-t-il si l’on révèle que, cette fois, personne n’a contrôlé ni les billets ni les pass sanitaires ? D’un simple clic nous allons peut-être déclencher une enquête interne, quelqu’un sera sanc- tionné, des têtes vont tomber.

Les passagers du TGV, comme tous les usagers, se divisent en deux groupes : d’un côté, ceux qui, par paresse ou conviction, n’iront pas faire d’histoire pour si peu, de l’autre, les redresseurs de torts, qui se délectent de révéler les dysfonctionnements.
La dictature de la notation révèle inévitablement le délateur qui som- meille en chacun. Protégé par l’anonymat du questionnaire en ligne, il se lâche, se défoule. Mais que celui qui n’a jamais coché la case « pas du tout satisfait » lui jette la première pierre.

Et d’ailleurs, combien d’étoiles pour cette chronique ?...

Il mérite quelle note, le livreur de sushi ? Certes il a renversé la soupe miso sur les makis, mais il tombait des cordes, et le pauvre, descendant de son vélo, était lui-même bien plus trempé que le riz. Combien aussi pour la jeune standardiste qui, depuis un centre d’appels, au Maroc ou à l’île Maurice, récite mécaniquement le texte qui lui est imposé, sans comprendre que votre cas n’est pas encore référencé ? Et que dire encore à la SNCF de ce voyage en TGV inOui, qui ne l’était pas vrai- ment ? Recommanderiez-vous TGV à vos proches ? Quel est votre niveau de satisfaction ? Qu’avez-vous le plus aimé ? Qu’avez-vous le moins aimé ? Surtout « dites-le avec vos mots »… À tout bout de champ, il faut désormais évaluer, détailler, noter nos expériences de consommation. Combien d’étoiles pour un retard d’une heure dû à l’orage ? Quelle sanction pour le ton légèrement agacé du commercial qui n’en peut plus de répéter qu’il n’est pour rien dans l’augmentation des cours internationaux du gaz ? Quelle peine pour le livreur qui s’est trompé d’adresse ? Aujourd’hui, le salarié ne vit plus sous le contrôle d’un petit chef tatillon, mais sous la menace de tout un bataillon de consommateurs impliqués, encouragés à passer leurs nerfs sur celui qui les a mal servis, leur a mal répondu, voire les a fait attendre. Notez, notez bien, que ce pouvoir vous appartient. Le plus souvent, c’est un mail ou un SMS automatique…

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