Quand revient le Tour

Si vous croyez que le buzz date d’hier, détrompez-vous. Déjà, voilà plus d’un siècle, les médias s’interrogeaient. Comment « vendre du papier » (en français moderne : « faire du clic ») ? Et c’est ainsi qu’un jour de décembre 1902, Henri Desgrange, patron du quotidien sportif L’Auto, invita son confrère Géo Lefèvre à déjeuner sur les Grands Boulevards pour une séance de brainstorming. — Dites donc, patron, et si on faisait un tour de France ? Une course par étapes entre les grandes villes et entre chaque étape, un jour de repos… — Nan, ça ne marchera jamais. Et puis la digestion aidant, l’idée parut moins farfelue. Il était urgent d’agir : L’Auto cherchait à concurrencer Le Vélo, qui enregistrait des records de vente en organisant des courses comme Paris-Brest-Paris. L’Auto avait d’ailleurs été créé ex nihilo par des antidreyfusards, hostiles au parti pris du concurrent pour le capitaine Dreyfus. Peu importe que le Tour de France se fut alors trouvé du mauvais côté de la grande histoire, son histoire, il allait l’écrire tout seul pour occuper le mois de juillet des petits Français, redessiner la géographie du pays et donner l’impression d’avoir été une évidence et non une invention médiatique. Comme le note Harari dans Sapiens, l’humanité est d’abord un récit, une narration. La religion de la petite reine s’inventait une légende putaclic, mais aussi un « pipeau » essentiel, vital, tant nous avons besoin qu’on nous raconte des histoires. Le Tour faisait du storytelling avant l’heure. La grande boucle en est cet été à sa saison 110, sans doute la sitcom…