Brian Eno : Mourir sur Seine

Hugo Lafont

Mettre des mots sur l’indicible, révéler à nos sens l’invisible… Cela fait plus de cinquante ans que le légendaire producteur de David Bowie, U2, Talking Heads et de beaucoup d’autres, s’est fixé cette mission. Et presque autant d’années qu’il n’avait pas donné de concert en France métropolitaine. Pionnier absolu et indéboulonnable de l’ambient music, le magicien du son a offert le 26 octobre dernier, un concert d’anthologie à la Seine Musicale, entre envolées spirituelles sidérantes et escapades maritimes mystiques. Non sans évoquer toutefois les cataclysmes contemporains qui semblent tant lui importer… Ne sachant s’il repasserait par chez nous avant plusieurs décennies, car ainsi vivent les immortels, il nous fallait absolument y être. Nous y étions. Témoins pour l’éternité du miracle surgissant des nappes de couleurs infinies du grand Brian. Pour les malheureux absents, une session de rattrapage est disponible sur Spotify.

Malgré la durée d’un spectacle somme toute assez frustrante – 90 très courtes minutes – Brian Eno a envoûté une salle comble et comblée. Accompagné du Baltic Sea Orchestra, cette mini tournée européenne, d’ores et déjà conclue, avait pour fonction de mettre en scène l’album « Ships », le bien nommé, sorti en 2016. Choix étrange et difficile, tant son immense discographie recèle de plus évidents chefs-d’œuvre, que l’auteur justifie par des raisons techniques, la conception de « Ships » offrant la possibilité d’utiliser « une multiplicité de sources sonores, passant par près de quarante canaux et autant de haut-parleurs » (Télérama), et d’embarquer un nombre pléthorique de musiciens. Nous préférons, nous, y voir une allégorie. À l’heure où le navire du monde tangue sur des eaux de plus en plus troubles, Brian Eno fit, pour un instant, le choix de s’en faire le hardi capitaine. Témoin d’une humanité en train de se perdre mais qui n’a pas – encore – tout perdu, il nous rappelle notre brièveté au sein de la chaine universelle.

À travers ce spectacle d’une insidieuse beauté, il nous renvoie à nos failles et nos fiertés, mais nous offre d’expérimenter une fragile harmonie.

Parcourant plus de quarante ans de création musicale en moins de deux heures, de la plus-que-sublime By this river sorti en 77 à son dernier album FOREVERANDEVERNOMORE paru l’année dernière, les jeux de lumière ont parachevé la sensation d’assister à une scène grandiose comme on en voit rarement dans les salles de spectacles. Embarqués sur un bateau pris dans une tempête, nous étions sur l’arche de Noé que la scénographie éblouissante rendit perceptible à nos sens en ébullition. Noé/Eno, troublante similitude nominale…

Il est des concerts qui servent indubitablement de testament. D’autres, de toute évidence, révèlent les héritages à perpétuer. Un art qui ne passera pas, qui refusera toujours l’oubli.

Eno, à la vie, à la mort.



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