Dans la mythologie grecque, Europe, princesse phénicienne, est enlevée par Zeus, qui prend l’apparence d’un taureau pour s’approcher d’elle, avant de la violer puis, plus tard, de l’offrir au roi de Crète Astérion. Opérer un rapprochement avec ce que subit aujourd’hui l’Union européenne est tentant. Alors que certains dirigeants politiques vantent une «Europe puissance», les citoyens constatent une impuissance grandissante et une peur diffuse face au grand basculement du monde. Après avoir dominé le monde durant quatre siècles, l’Europe a dû laisser la prééminence aux États-Unis à partir de la Première Guerre mondiale. Elle s’interroge aujourd’hui sur son destin.
Si la mondialisation se transforme en régionalisation, avec la constitution de quelques grandes plaques, les dirigeants des principaux pays européens sont bien en peine d’expliquer ce qu’apporte la construction européenne aux citoyens. Une fois qu’on a déclaré qu’elle a permis la paix de la fin de la Seconde Guerre mondiale, qu’elle a favorisé les échanges d’étudiants avec Erasmus et réduit les tarifs de téléphonie mobile avec la suppression des frais de roaming, on est bien en peine de dessiner ce que pourrait être le futur de l’Europe. Continent riche mais vieillissant, elle apparaît aujourd’hui comme une simple zone de libre-échange ouverte aux quatre vents.
Alors que Pékin et Washington n’hésitent pas à pratiquer le protectionnisme, l’Union européenne s’évertue à jouer le bon élève du commerce mondial, se contentant de quelques régulations. Elle est reléguée dans la course technologique et voit des pans entiers de son industrie s’effondrer. Politiquement, elle est désormais alignée sur les États-Unis. C’est rageant alors que l’Europe est le continent le plus démocratique, qui permet encore, malgré des attaques insidieuses, la plus grande liberté à ses citoyens.
Si elle veut continuer d’exister dans un XXIe siècle qui semble se diriger tout droit vers un affrontement entre les Américains et les Chinois, l’Europe doit réagir de manière coordonnée dans trois directions: se doter des moyens d’assurer sa défense; définir une stratégie diplomatique consistant à défendre la liberté, la démocratie et le droit international partout dans le monde; investir massivement dans les technologies nécessaires pour assurer son indépendance industrielle et pour contribuer efficacement à la transition énergétique. Pour y parvenir, l’Europe doit se rebeller et s’engager sur le chemin de l’indépendance en osant affronter les taureaux.