À l’approche de chaque grande échéance électorale, beaucoup de citoyens se posent la question : faut-il voter ? On peut leur expliquer que la démocratie – gouvernement par le peuple – est une chose rare et précieuse qu’il faut préserver, que chaque voix a son importance, ils n’en sont pas convaincus. Les raisons en sont multiples : les promesses non tenues de ceux qui accèdent au pouvoir, l’arrogance des élites, les difficultés économiques et sociales du pays…
La démocratie ne se résume pas aux élections. C’est néanmoins ce que les citoyens retiennent de plus en plus. Si politikos signifie en grec ancien « qui concerne les citoyens, l’État » et, par extension, la « science des affaires de la Cité », cette notion a été supplantée au fil des siècles par politikè, qui a trait à la pratique du pouvoir et, partant, sa conquête. D’où le désenchantement, car si les dirigeants politiques, dans le monde occidental, assurent tous vouloir défendre la démocratie, aucun d’entre eux ne propose de mesures visant à renforcer le système démocratique.
L’exemple le plus caricatural nous vient des États-Unis, où un ancien président refuse de reconnaître sa défaite et mobilise ses partisans pour discréditer son vainqueur. Ce faisant, il attaque les fondements de la démocratie américaine, d’autant qu’en parallèle ses alliés multiplient les initiatives pour restreindre le droit de vote d’une partie de la population. Ajoutons à cela la politisation extrême des instances judiciaires, qui ne font plus l’unanimité dans le pays. De fait, la pratique des checks and balances – poids et contrepoids –, qui faisaient la force de l’état de droit aux États-Unis, s’estompe et laisse place à des affrontements directs et violents.
En France, fort heureusement, nous n’en sommes pas là. Il convient toutefois de lutter contre le désenchantement démocratique. Selon un sondage de l’institut Harris Interactive, publié en décembre 2021, 83 % des personnes interrogées se disent attachées au régime démocratique et 61 % pensent que la démocratie est en danger. Seulement 54 % affirment que la démocratie française « fonctionne bien », un pourcentage relativement faible qui explique sans doute le fort taux d’abstention dans diverses catégories de la population. Car 32 % des personnes interrogées estiment que « le vote ne sert pas à grand-chose », la proportion étant de 42 % chez les 25-34 ans.
Dans une démocratie digne de ce nom, il est du devoir des dirigeants politiques de garantir le bon fonctionnement du système. Cela concerne, bien sûr, les élections, qui doivent être transparentes et permettre l’expression de tous les courants de pensée. Cela suppose aussi une volonté d’associer l’ensemble des citoyens à la vie du pays. Le sondage évoqué ici souligne que parmi ceux qui jugent « difficile de s’en sortir avec leur revenu », 27 % qualifient la France de démocratie tandis que 37 % la considèrent comme un régime autoritaire. Les proportions sont respectivement de 17 % et de 51 % chez ceux qui disent qu’ils « n’ont pas du tout la maîtrise » de leur vie.
Ces chiffres sont particulièrement inquiétants dans la mesure où ils laissent entrevoir une sécession d’une partie de la population, qui estime que la participation au « jeu » démocratique ne vaut plus le coup et qui est tentée par les populistes et les extrémistes. En face, certains candidats aux plus hautes fonctions peuvent imaginer faire l’impasse sur ces citoyens mécontents qui ne croient plus à leur insertion dans l’entité nationale et se concentrer sur ceux qui sont intégrés.
Cette double dynamique – avec d’un côté des électeurs qui se révoltent et de l’autre des politiques qui les ignorent – peut se révéler mortifère pour la démocratie. La campagne présidentielle en cours doit donc être l’occasion pour les candidats qui croient aux principes de liberté et de responsabilité de proposer des solutions pour que tous les citoyens se sentent concernés par l’avenir du pays. Car c’est bien de cela qu’il s’agit.
