Étiquettes: BM03
Laurence Biberfeld
Dans les poches du mort
On trouva
Plus innombrables que des
grains de sable
Des humains
Des humains petits cailloux
Des humains clous
Des humains fil de fer
Des humains mouchoir
en papier
Des humains épluchures
Des humains bonbons
Des humains brindilles
Des humains clopes et des humains cachet
Des humains froissés
Des humains pliés
Des humains déchirés
Des humains cachés
Des humains ficelle
Des humains pense-bête
Les poches du mort étaient innombrables
Pleines à craquer
Trouées
La gabardine du mort
Était une armoire normande
Un buffet gigantesque
Mais quand on dévêtit le mort
On le trouva tout petit dans son grand manteau
Qui ne l’avait pas protégé
du froid
Quand on dévêtit le mort
On le trouva mort de froid
Il avait dans sa petite main d’enfant
Un miroir brisé
Qui ne lui avait renvoyé que son image
Morcelée
Kaléidoscopique
Réfléchie sans pensée
Sur la surface de tous ces
humains-objets
Qui peuplaient ses poches
Qui s’entretuaient
Rêvaient
Étouffaient
Dans ses poches
Quand on dévêtit le mort
De ses tiroirs crevés
De ses poches à secrets
De ses fuites à revers et de ses pirouettes en abyme
S’éleva une buée
Impuissante à prendre forme
Et qui pourtant faisait penser à l’amour
Faisait penser au mouvement de marée de l’amour
Flux et reflux
Paresseuse pulsation du plaisir
Jamais saisi
Impalpable fantôme de sang
Dans les corridors des artères étourdies
Quand on dévêtit le mort
On trouva dans sa bouche
Sa langue qui cherchait à naître
Parfaite comme un fœtus
Avant que son espèce spécifique lui donne forme
Parfaite et ingénue comme la mémoire des étoiles
S’incarnant dans le tortillon rose
D’une tentative de chair
Le petit mort de froid
S’éparpilla
Comme les épluchures, les
brindilles, les mouchoirs en papier, les petits cailloux, les clous,
les clopes et les cachets,
le fil de fer et les bonbons
Et puis le pense-bête aussi
Mais le beau colimaçon palpitant de sa langue fœtale
Dans sa bouche on le cueillit
On le porta en terre comme une graine endormie
Avec mille égards on versa sur lui
L’amour fondant de la terre
Et on laissa le ciel attendre
La pluie tomber
Le soleil briller....
Déjà abonné(e) ? connectez-vous !