Poutine à Hollywood

Brigitte Benkemoun

« Allo, Will Smith ? Tu as entendu ce que Poutine a dit au sujet de ta femme ? » La photo du président Volodymyr Zelensky, pendu au téléphone, et cette réplique surréaliste sont devenues virales en quelques heures sur Internet. J’avoue sincèrement avoir souri en voyant passer l’image. Et, comme tant d’autres, j’ai aussitôt partagé dans ma « story Instagram » ce qu’on appelle désormais un « mème », avant de recevoir, en message privé, un très sévère : « Tu trouves ça drôle ? » J’ai d’abord pensé que mon interlocutrice ne pouvait que sortir d’une retraite sans Wifi, ou d’une privation de liberté télévisuelle, pour ignorer l’allusion à l’événement mondial : la correction infligée par l’acteur américain Will Smith à un humoriste ayant osé plaisanter sur l’alopécie de son épouse. Mais non, elle savait ! Elle connaissait même le nom de cet illustre inconnu, entré dans l’Histoire avec fracas pour avoir été giflé sur la scène des Oscars : Chris Rock. Elle jugeait seulement indécente ma petite vanne à deux balles, choquée que l’on puisse mettre sur le même plan cette chicaya hollywoodienne, et « le combat d’un homme qui se bat pour sauver son pays, croulant sous les bombardements ». J’ai d’abord encaissé la petite leçon de morale, puis je me suis rebiffée. Non, elle n’avait rien compris ! Ce modeste détournement n’avait pas pour vocation de comparer la guerre et la baffe, encore moins de plaisanter sur le drame ukrainien. Bien au contraire. Ce trait d’humour éclairait brutalement nos contradictions, nos aberrations, nos délires médiatiques. 

Un cas d’école : en quelques heures, cette histoire de gifle nous avait fait basculer de Marioupol à Los Angeles. D’une ville dévastée à une soirée en smoking. Et sans transition, comme on change de costard, les commentateurs de plateau étaient passés de l’analyse du cerveau de Poutine à celui de Will Smith. La baffe était devenue fait d’arme. Il fallait essayer de la comprendre, la décrypter, prendre parti. Des questions essentielles étaient posées : devait-on considérer comme légitime le coup de sang d’un homme souhaitant laver l’honneur de sa femme, ou, par principe, s’opposer à l’escalade de la violence ? Fallait-il ovationner la star, comme le public des Oscars, ou se dire « dégoûté » à la façon de Jim Carrey ?

Scénario classique d’un film catastrophe, avec le beau Will Smith dans le rôle inédit d’un super-héros un peu bourrin que le petit Ukrainien arrive astucieusement à chauffer, ce Zelensky chez les people a braqué les projecteurs sur ce cirque médiatique, ou notre cinéma diplomatique. Car comment motiver un Occidental qui ne s’énerve que si les problèmes le concernent personnellement ? Il faut lui parler de sa femme ou de sa famille. Ou de lui-même, en montrant que les agissements de Poutine pourraient bien un jour le toucher de très près. Et subitement le mâle occidental se met en colère. Il y a vraiment des baffes qui se perdent !...

« Allo, Will Smith ? Tu as entendu ce que Poutine a dit au sujet de ta femme ? » La photo du président Volodymyr Zelensky, pendu au téléphone, et cette réplique surréaliste sont devenues virales en quelques heures sur Internet. J’avoue sincèrement avoir souri en voyant passer l’image. Et, comme tant d’autres, j’ai aussitôt partagé dans ma « story Instagram » ce qu’on appelle désormais un « mème », avant de recevoir, en message privé, un très sévère : « Tu trouves ça drôle ? » J’ai d’abord pensé que mon interlocutrice ne pouvait que sortir d’une retraite sans Wifi, ou d’une privation de liberté télévisuelle, pour ignorer l’allusion à l’événement mondial : la correction infligée par l’acteur américain Will Smith à un humoriste ayant osé plaisanter sur l’alopécie de son épouse. Mais non, elle savait ! Elle connaissait même le nom de cet illustre inconnu, entré dans l’Histoire avec fracas pour avoir été giflé sur la scène des Oscars : Chris Rock. Elle jugeait seulement indécente ma petite vanne à deux balles, choquée que l’on puisse mettre sur le même plan cette chicaya hollywoodienne, et « le combat d’un homme qui se bat pour sauver son pays, croulant sous les bombardements ». J’ai d’abord encaissé la petite leçon de morale, puis je me suis rebiffée. Non, elle n’avait rien compris ! Ce modeste détournement n’avait pas pour vocation de comparer la guerre et la baffe, encore moins de plaisanter sur le drame ukrainien. Bien au contraire. Ce trait d’humour éclairait brutalement nos contradictions, nos aberrations, nos délires médiatiques.  Un cas d’école : en quelques heures, cette…

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