Le refuge sacré

Xavier Couture

«Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas. » Les débats sur l’authenticité de cette phrase attribuée à André Malraux ne servent que les maniaques de la vérification. André Frosssard prétend qu’il l’aurait prononcée en 1968 au siège du Ministère de la Culture, rue de Valois, tout en précisant que le Ministre, en réalité, n’aurait pas dit religieux mais mystique. Religion, mysticisme, spiritualité, peu importe, l’affaire est simple : Malraux avait vu juste.
Même si la religion occupe une place importante à l’échelle internationale, le monde occidental et la France en particulier sont confrontés au retour en force du sacré, ou plutôt d’un enchevêtrement de sacrés tant leur multiplicité a envahi notre espace. À ce stade, notons que la France sacrait son roi quand l’Angleterre couronnait le sien, différence notable. Friedrich Holderlin, philosophe pré-romantique, eut cette formule dont la puissance entre en résonance avec notre temps : « Sauvage est la proximité du sacré ». Le monothéisme avait renversé les idoles, devenant aussi une force politique en créant les conditions de l’obéissance des peuples. Avec le Christianisme, ce fut le cas en Europe puis en Amérique et dans une moindre mesure en Afrique. Ailleurs, l’Islam, le Bouddhisme, le Taoïsme ou d’autres interprétations des paroles de tel ou tel maître de référence garantissaient le calme en imposant une docilité acceptable face à la crainte de la puissance divine.

Finies les adorations au soleil ou à la pluie pour la récolte, démodées la soumission à la peur de la mort, voici venu le temps du « sacré en libre-service ».

Quand les Lumières vinrent éclairer notre monde, au XVIIIème siècle, le rapport au sacré prit un tour plus conscient. La liberté, vertu cardinale de nos révolutions, produisait un nouveau renversement des valeurs. Penser, croire, adorer même, relevaient de l’individu. Cette volonté d’affranchissement de la tutelle de l’au-delà, voire des clercs, n’a pas résisté aux nouvelles inquiétudes. Finies les adorations au soleil ou à la pluie pour la récolte, démodées la soumission à la peur de la mort, voici venu le temps du « sacré en libre-service ». La peur touche à notre existence collective. Le désastre écologique est un fait. Toute notre énergie doit se concentrer sur la préservation de l’humanité. Et pourtant, le climat n’est plus une donnée strictement scientifique, il produit ses dogmes, ses prêtres, ses officiants. S’exprimer sur le réchauffement de l’atmosphère ne peut s’accomplir que dans le respect des forces supérieures de la certitude. Face à une réalité n’échappant à personne, le sacré entre en scène pour désigner le bien et le mal , identifier les mécréants, rassurer les fidèles en les regroupant en meutes solidaires. « La maison brûle mais pendant ce temps-là, ils se chauffent avec » pourrait-on dire en paraphrasant Chirac. Dénoncer, débattre, reprocher sont autant de moyens de supporter la menace. Dans ce contexte, la défense de notre environnement n’est plus un enjeu collectif, une lutte pour notre survie, elle devient une foi, un autel où il devient de plus en plus complexe d’émettre un avis, de proposer des solutions pragmatiques, d’écouter les sachants dont le travail pourrait nous sortir d’affaire.
Le féminisme a pris la même route avec parfois quelques excès de vitesse dans l’expression. Il est vital pour nos sociétés d’établir l’égalité des salaires, de faire cesser les violences faites aux femmes, d’instaurer un véritable partage des tâches, des responsabilités, de cesser de prétendre à la parité mais de la réaliser bel et bien, c’est une obligation absolue. Pour y parvenir, le féminisme doit lui aussi sortir de la dialectique du sacré. En poussant le raisonnement jusqu’à l’essentialisation de la violence masculine et de l’incapacité du genre à accepter une société égalitaire, les ultra féministes se fourvoient. En instillant l’idée que l’enfer c’est l’homme, ce mouvement engendre ses communautés avec de nouvelles idoles. Refuge naturel et compréhensible pour les victimes qui ont souffert de la domination et parfois de la barbarie masculines, l’émergence de ce nouveau culte entretient pourtant le feu de l’affrontement.
Le rapport à notre alimentation, dont le XXe siècle a totalement détruit l’équilibre, impose un travail collectif, une remise en cause consciente, une pédagogie de l’usage de nos ressources agricoles. Mais là aussi les prêtres du bien-manger se sont saisis de l’affaire pour la transformer en combat idéologique, en croisade sacrée. Ils ont dressé les abattoirs à destination
des inconscients.
Xavier Couture
Xavier Couture est consultant. Spécialiste des médias, il a fait toute sa carrière dans la presse puis l’audiovisuel, notamment à TF1, Canal+ et Orange. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont un essai sur la télévision : La Dictature de l'Émotion (Audibert, 2007). Il est également Président du Conseil d’Administration du Théâtre de la Ville et du Théâtre du Châtelet.

L’Occident a perdu une grande part de sa culture monothéiste. Les réseaux sociaux et les chaînes d’information qui s’y abreuvent n’ont de fascination ni pour nos philosophes des Lumières, ni pour leurs prédécesseurs ou leurs successeurs. 1905 est menacé par l’apparition de cette forme inédite de « sacré laïc ». Cela nous prive de nos capacités d’intelligence. Nous sommes presque huit milliards d’êtres humains sur la Terre et seule la vie est sacrée. Dans cette perspective apprenons à brûler les idoles passagères et battons-nous pour la liberté et le respect de chaque femme et de chaque homme sur une planète sauvegardée....

«Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas. » Les débats sur l’authenticité de cette phrase attribuée à André Malraux ne servent que les maniaques de la vérification. André Frosssard prétend qu’il l’aurait prononcée en 1968 au siège du Ministère de la Culture, rue de Valois, tout en précisant que le Ministre, en réalité, n’aurait pas dit religieux mais mystique. Religion, mysticisme, spiritualité, peu importe, l’affaire est simple : Malraux avait vu juste. Même si la religion occupe une place importante à l’échelle internationale, le monde occidental et la France en particulier sont confrontés au retour en force du sacré, ou plutôt d’un enchevêtrement de sacrés tant leur multiplicité a envahi notre espace. À ce stade, notons que la France sacrait son roi quand l’Angleterre couronnait le sien, différence notable. Friedrich Holderlin, philosophe pré-romantique, eut cette formule dont la puissance entre en résonance avec notre temps : « Sauvage est la proximité du sacré ». Le monothéisme avait renversé les idoles, devenant aussi une force politique en créant les conditions de l’obéissance des peuples. Avec le Christianisme, ce fut le cas en Europe puis en Amérique et dans une moindre mesure en Afrique. Ailleurs, l’Islam, le Bouddhisme, le Taoïsme ou d’autres interprétations des paroles de tel ou tel maître de référence garantissaient le calme en imposant une docilité acceptable face à la crainte de la puissance divine. Finies les adorations au soleil ou à la pluie pour la récolte, démodées la soumission à la peur de la mort, voici venu le temps du « sacré…

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