Le blues de Chico

Mathieu Perez

Le fondateur des Gipsy Kings revient sur la tragédie qui a brisé sa famille : l’assassinat de son frère, pris pour cible par erreur par le Mossad, en 1973. Un long chemin vers la réconciliation.

 

Et si la guitare de Chico pouvait parler, que dirait-elle ? Est-ce qu’elle commencerait par nous raconter la folle aventure des Gipsy Kings, les tubes planétaires Djobi, Djoba et Bamboléo, les stades pleins à craquer lors des tournées en France, aux États-Unis et dans le monde ? Ou par les débuts à Saint-Tropez dans les années 1970 où Chico et ses copains gitans jouaient pour la crème de la jet-set internationale ? Est-ce qu’elle nous conterait la rencontre de Chico avec la famille Reyes, ses voisins gitans de la cité Griffeuille, où il a grandi à Arles ? Son coup de foudre pour Marthe, la fille du chanteur de flamenco José Reyes ? Et est-ce qu’elle nous confierait qu’il ne serait peut-être jamais devenu musicien si son grand frère ne lui avait offert une guitare pour ses 16 ans, alors qu’il ne savait pas encore en jouer ?

Dès l’enfance, ce grand frère est son modèle : « Ahmed avait onze ans de plus que moi, c’est beaucoup quand on est petit, se souvient Chico. Il voyageait aux États-Unis ou en Afrique du Nord, parlait plusieurs langues. Nous, à Arles, ça nous faisait rêver. Quand il revenait, il nous racontait toutes sortes d’histoires. À l’étranger, il vivait de petits boulots. Et il était aussi disque-jockey dans des boîtes. Il m’a transmis sa passion pour la musique, surtout pour le blues. »

Son histoire, Chico nous la raconte au Patio de Camargue, situé à la sortie d’Arles. Ce domaine de 3 hectares, dont il est le propriétaire, il l’a dédié à la culture gitane, la grande aventure de sa vie. On y trouve une hacienda, une chapelle, une petite arène pour les chevaux, une guinguette en bordure du Rhône, une dizaine de roulottes, deux salles de spectacles, dont une ancienne fabrique navale reconvertie où il se produit à guichets fermés avec son groupe, Chico & The Gypsies, une fois par mois. Un vrai petit village sorti de terre en vingt-cinq ans. Difficile de croire qu’auparavant, le paysage consistait en une montagne de déchets.

Chico s’est posé dans la guinguette, désormais fermée pour la saison. Style détendu mais très soigné, chemise bleu ciel et pantalon beige, belle montre au poignet. Sans oublier l’accent arlésien qui assaisonne ses paroles. Et une incroyable sérénité sur son visage. Il a 68 ans, ne les paraît pas. Quand on lui demande la place qu’occupe son frère Ahmed dans sa vie, il répond : « C’est mon guide, ma bonne étoile. Toutes les étapes de mon existence me ramènent à lui. » À sa personnalité, à ses passions, à ses goûts musicaux, à sa soif de voyages. 

« Ahmed avait le contact facile. Quand on le rencontrait, on avait l’impression de le connaître depuis toujours, sourit Bobby, le frère de Chico. Il adorait le karaté. Il s’y est mis bien avant le phénomène Bruce Lee ! Il était allé voir le film Hara-kiri, de Kobayashi, plusieurs fois juste pour reproduire un certain mouvement. Il s’y connaissait, il était ceinture noire. » Ahmed a la bougeotte : « À 17 ans, il est parti vivre en Algérie où il a été instituteur. Il a travaillé comme serveur sur un bateau de croisières aux États-Unis. À 20 ans, il a atterri en Norvège. »

Ahmed trouve dans le pays nordique son lieu d’ancrage. Il vit d’abord à Oslo puis dans les stations de ski environnantes. « Il était drôlement bien intégré, se souvient Bobby. Quand je l’ai rejoint, en 1971, il vivait là-bas depuis huit ans et parlait couramment le norvégien. Il enseignait le karaté aux policiers de Bergen, était serveur dans un café et maître-nageur à la piscine municipale de Lillehammer. Le soir, il passait des disques dans des boîtes. La Norvège, c’était sa vie. » En 1973, il revient à Arles annoncer à ses parents qu’il va épouser une belle Norvégienne : Toril. « C’est moi qui l’ai raccompagné à la gare, confie Bobby. Je suis le dernier à l’avoir vu vivant. » Ahmed Bouchikhi avait 30 ans.

Si son nom ne sonne pas très tsigane, c’est qu’il est arabe. « Quand j’ai dit à Jamel Debbouze que le fondateur des Gipsy Kings était en fait marocain, il a halluciné ! » sourit Chico. Son père vient du royaume, sa mère d’Algérie. Ses six frères et sœurs sont nés en de part et d’autre de la Méditerranée. Ahmed à Tlemcen, pendant la guerre, en Algérie alors française. En 1951, la famille s’installe à Arles, où Chico naît trois ans plus tard. Prénom : Jahloul. Mais dans son quartier hispano-arabe, ce gosse toujours fourré dans les pattes des grands est surnommé « chico », « petit garçon » en espagnol. « Ça m'est resté comme un tatouage. »

L’année 1973 aussi a laissé une marque indélébile. La famille Bouchikhi s’est retrouvée au cœur d’une histoire qui la dépassait complètement : la guerre d’Israël contre les terroristes palestiniens. Depuis la sanglante prise d’otages des Jeux olympiques de Munich, le Mossad met les bouchées doubles pour éliminer les commanditaires du massacre des onze athlètes israéliens. « Le traumatisme a été très profond en Israël, souligne l’historien Michel Bar-Zohar, spécialiste des services secrets israéliens. Tout le monde suivait les Jeux en direct à la télévision. Au moment de la prise d’otages, Zvi Zamir, le chef du Mossad, s’est rendu à Munich car il savait comment s’y prendre avec les terroristes. Mais les autorités allemandes se sont montrées très condescendantes. Il a assisté à l’exécution des athlètes, sans pouvoir faire quoi que ce soit. Quant à Golda Meir, la Première ministre israélienne, elle était sous le choc. Au début, on lui avait annoncé la libération des otages et apporté une bouteille de champagne dans son bureau… » Ce drame est le point de départ de l’opération Colère de Dieu. « Aharon Yariv, conseiller antiterroriste, et Zvi Zamir sont allés voir Golda Meir et lui ont dit qu’à défaut de tuer tous les terroristes ayant participé à Munich, il fallait écraser la tête du serpent pour arrêter Septembre noir ».

Septembre noir ? Un groupe secret issu du Fatah, une organisation politique et militaire qui a rejoint l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) dirigée par Yasser Arafat. « Arafat a pris les meilleurs mercenaires du Fatah, lequel pouvait désormais prôner la paix. Mais il était à la tête de l’OLP et de Septembre noir. » Munich n’est pas la première opération de ce groupe clandestin : en 1971, il a orchestré l’assassinat du Premier ministre jordanien Wasfi Tall, au Caire, puis a eu l’audace de détourner un avion à l’aéroport de Tel-Aviv.

Pour les Israéliens, le chef de cette armée secrète est Ali Hassan Salameh, surnommé le Prince rouge. « Prince », parce qu’il est le fils du chef guerrier palestinien Hassan Salameh, pronazi durant la Seconde Guerre mondiale, mort durant la guerre israélo-arabe de 1948, qui mena à la fondation de l’État d’Israël. « Rouge », parce que sanguinaire. Pour les Palestiniens, Salameh est une figure montante du Fatah, un proche d'Arafat officiant comme responsable de la sécurité de la garde présidentielle. Pas un combattant, encore moins le cerveau derrière Munich. Très loin de l’image du fedayin à keffieh et à treillis, c’est un play-boy qui mène grand train, court les femmes et les soirées mondaines à travers l’Europe et le Moyen-Orient. Le Mossad le recherche plus qu’activement. Méfiant et très chanceux, il leur file toujours entre les doigts.

« Jusqu’au jour où les services secrets israéliens ont cru qu’il était en Norvège », raconte Chico. En juillet 1973, les agents du Mossad suivent un Algérien basé en Suisse. Un personnage trouble, ouvrier le jour, adepte des soirées diplomatiques la nuit. Il est repéré à Oslo, puis il file brusquement à Lillehammer, une petite station de ski déserte en plein été. Une grande équipe de l’unité d’élite des tueurs du Mossad est envoyée à Lillehammer. La chefferie du service secret arrive également sur place. « L’Algérien est suivi à la trace, continue Chico. Dans un café, il croise un autre Arabe et lui parle. C’est Salameh, pense le Mossad. Car deux Arabes qui se croisent en Norvège, c’est comme deux Français sur le mont Fuji, ils se connaissent forcément. » L’étau se resserre autour de lui. Le 21 juillet 1973 au soir, le leader palestinien va au cinéma en compagnie d’une Norvégienne. Après le film, tous deux prennent le bus et descendent dans une rue déserte. Soudain, une voiture s’arrête. Deux agents en sortent et criblent de balles Salameh. Les médias norvégiens annoncent la nouvelle dès le lendemain. Non pas la mort du Prince rouge mais celle d’Ahmed Bouchikhi. Le Mossad s’est trompé de cible.

« J’ai été le premier à savoir, confie Bobby. Je travaillais sur l'île du Levant pour la saison. Ahmed avait dû inscrire mon adresse dans son carnet pour me joindre, en cas de besoin. Et son épouse, Toril, l’a communiquée à la police. Un flic est venu chez moi un matin de bonne heure. Il m’a demandé si j’étais bien Bobby Bouchikhi. Puis, il m’a pris par l’épaule, paternellement, et m’a annoncé la mort de mon frère. J’ai tout de suite appelé la police de Saint-Tropez pour qu’elle contacte Chico. »

En ce mois de juillet 1973, et comme les étés précédents, Chico fait vibrer les nuits tropéziennes au son des guitares flamenca avec les Reyes, ses frères de cœur. Il a 18 ans. « J’ai vu un policier venir vers nous. On était dans la rue Général-Allard, la grande rue commerçante, se souvient-il. Il nous a demandés s’il y avait un Marocain dans notre groupe. J’ai dit oui. Il m’a annoncé que quelqu’un de ma famille avait eu un problème et que je devrais me rapprocher d’elle. » Les frères Bouchikhi, Chico, Bobby et Chaib, se retrouvent et foncent à Arles. « Quand notre père nous a vus tous les trois, il a compris qu’il s’était passé quelque chose. On croyait qu’il était au courant, mais c’est nous qui lui avons appris la nouvelle. Notre mère était en Algérie. Il a fallu lui annoncer, à elle aussi. C’était terrible. »

À Lillehammer, l’affaire n’est pas terminée. « Très vite, deux agents du Mossad ont été arrêtés par la police, continue Chico. Ils ont tout avoué, ce qui a mené à l’arrestation de quatre autres agents. » La bavure du Mossad prend une tournure internationale. Plus encore pendant le procès des accusés où les méthodes des services secrets israéliens sont révélées publiquement ainsi que les dessous de l’opération de Lillehammer.

« C’est une histoire de pieds nickelés », résume le guitariste. Pour commencer, la photo de Salameh entre les mains des espions est ancienne et floue. Ensuite, les infos qui remontent du terrain sont déroutantes : l’homme suivi jour et nuit se déplace à vélo sans aucune mesure de précaution. « À la piscine municipale, l’une des espionnes enfile un maillot de bain, se rapproche de lui et découvre avec stupéfaction qu’il parle français, et non pas arabe », souligne Chico. De quoi mettre la puce à l’oreille des agents les plus rodés du commando : cet homme ne peut pas être Salameh…

Comment expliquer un tel fiasco ? « Les chefs du Mossad étaient tellement sûrs d’eux qu’ils n’ont pas considéré les faits. Jusque-là, tous leurs efforts avaient été couronnés de succès », analyse Bar-Zohar. Conséquence : Salameh, bien vivant et réfugié à Beyrouth, brocarde le Mossad dans la presse. En Israël, Golda Meir arrête l’opération Colère de Dieu contre Septembre noir, dont la plupart des chefs ont déjà été liquidés. Et les modes opératoiress des services secrets sont changés. « Zvi Zamir, chef du Mossad, et Michael Harari, chef de l’opération de Lillehammer, prétendent avoir remis leur démission à Golda Meir mais qu’elle l’a refusée. Ils auraient dû payer, commente Bar-Zohar. La société israélienne a été choquée par ce drame ». À Arles, c’est l’incompréhension. « Israël, la Palestine, je n’y connaissais rien, avoue Chico. J'étais dans ma musique, dans mon petit paradis avec les gitans. »

La famille Bouchikhi est fracassée. « Je crois que mon père s’en voulait car, à chaque fois qu’Ahmed revenait à Arles après avoir bourlingué ici et là, il lui disait de s’installer et de fonder une famille. Une fois, il a caché son passeport pour éviter qu’il ne reparte. Mais, évidemment, il a repris son passeport et est reparti, confie Chico. Le plus dur a été le soupçon jeté sur lui. Même dans notre entourage, certains se demandaient s’il n’était pas secrètement lié à l’OLP. Pourquoi le Mossad l’aurait tué, sinon ? Dans la famille, on a mis un couvercle. On n’en parlait pas du tout. »

Ahmed est enterré au Maroc, à Oujda, la petite ville quasi-frontalière avec l'Algérie, d’où est originaire le père Bouchikhi. Le roi Hassan II lui fit des obsèques solennelles. Ahmed était considéré comme un citoyen marocain, et non pas français. « C’est compliqué, soupire Chico. Pendant la guerre d’Algérie et même avant, c’était tabou pour les Arabes nés en France d'avoir des papiers français. On avait tous des passeports marocains, comme papa. Ça nous a joué des tours quand on cherchait du travail. Puis, à 18 ans, j’ai fait la demande et obtenu des papiers français sans problème. Mes frères, aussi. »

Pour oublier la douleur, le guitariste aurait pu sombrer dans l’alcool. « Mon père ne buvait pas, ne fumait pas. Moi, non plus. Nos parents nous ont donnés des forces qu'on ne soupçonnait pas. Et le côté famille nombreuse aide… »

Comme Bobby avant lui, il veut voir à quoi ressemble Lillehammer. « Sur place, j’ai compris pourquoi Ahmed aimait tant ce pays. Pour ses paysages, sa douceur de vivre. Chez Toril, je me suis plongé dans la collection de disques de mon frère ». La veuve d’Ahmed n’arrive pas à remonter la pente. « Elle ne s’est jamais remariée. Elle était enceinte quand mon frère a été abattu sous ses yeux. Elle a donné une naissance à une fille, Malika. Toutes deux venaient passer les étés à Arles. On est resté proches. Mais Malika et moi n’avons jamais parlé de son père… »

Cette douleur, il l’enfouit au plus profond de lui-même. L’aventure des Gipsy Kings commence. Elle prend toute la place. C’est Chico qui réunit les familles Reyes et Baliardo, qui voit la nécessité d’un nom en anglais pour conquérir la planète. Des années de galère se succèdent. Et ça explose en 1987. Tournées internationales, disques d’or, félicitations de Mick Jagger, de Maradona et de toutes les stars possibles et imaginables. Chico signe ou cosigne les plus gros tubes du groupe. Un jour, s’étonnant que les musiciens touchent aussi peu de royalties sur les millions de disques vendus, il demande un audit à leur imprésario. En 1991, il est éjecté du groupe. Les familles se déchirent. Les procès se multiplient. Ruiné, il repart à zéro et monte Chico & The Gypsies. 

Et puis, il y a ce coup de téléphone, le 13 septembre 1994. Le guitariste est en studio à Paris pour enregistrer Tengo Tengo, son premier disque avec son nouveau groupe. À l’autre bout de la ligne, l’Unesco. Il n’en revient pas. « Pour la cérémonie du premier anniversaire des accords d’Oslo, scellés par la poignée de main historique entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat et censés préfigurer un État palestinien indépendant, l’Unesco avait programmé les Gipsy Kings, résume Alice de Jenlis, ex-directrice de la communication à l’Unesco. Mais le jour J, ils ne se sont pas réveillés et ont tout simplement annulé. On a appelé Chico à l’aide. Il nous a dit qu’il nous rappellerait dans trois heures. Les trois heures les plus stressantes de ma vie ! Quand il a téléphoné, il avait réuni une dizaine de musiciens et ils ont pris le premier vol. »

« C’est dans l’avion que j’ai compris, confie le guitariste. J’allais jouer devant Shimon Peres et Yasser Arafat, les représentants des pays ayant causé la mort de mon frère. Bobby était avec moi. Personne ne connaissait notre histoire. Pas même mes musiciens. C’était notre secret. » Sitôt à Oslo, le groupe file au stade national pour la balance. « Quand les gardes nous ont vus arriver avec nos guitares, ils nous ont laissés passer sans vérifier nos papiers. Avec un nom comme le mien, je n’aurais jamais dû pouvoir entrer ! » 

Au programme : le chanteur afro-américain Harry Belafonte, la cantatrice espagnole Montserrat Caballé, le chef d’orchestre indien Zubin Mehta, une chorale d’enfants israéliens, palestiniens et norvégiens. « Quand c’était à nous, la présentatrice a annoncé qu’il y avait eu un problème avec les Gipsy Kings, mais que Chico, le fondateur du groupe, était là. On a commencé avec Bamboléo devant un stade plein et un parterre de célébrités. C’était extraordinaire ! Après, Arafat et Peres sont montés sur scène et m’ont serré la main. Je cherchais mon frère Bobby du regard, mais la sécurité le bloquait dans les coulisses. Je leur ai fait signe. Il a pu nous rejoindre et prendre une photo. »

Pour lui, il n’y a pas de hasard : « Me voilà à Oslo avec la guitare qu’Ahmed m'a offerte, à jouer devant ces deux chefs d’État, et dans le pays où il a été assassiné. C'est lui qui m'a amené là. Après vingt ans de douleur, le pardon était la seule solution. Pardonner est très difficile quand on a été meurtri dans sa chair. Mais c’est ce qui libère de la rancune et permet d’avancer. C’est un acte spirituel. »

« L’autre personne qui m’a tenu le même discours, c’est Nelson Mandela à sa sortie de prison, se souvient Federico Mayor Zaragoza, ancien directeur général de l’Unesco. Je ne connaissais pas la tragédie familiale de Chico. Il me l’a racontée plus tard, lorsqu’il a demandé notre parrainage pour la Nuit de la tolérance, qu’il organisait à Arles. Pour moi, il incarne le processus de paix. Pour cette raison, je l’ai nommé envoyé spécial pour la paix en 1996. »

Le guitariste se retrouve dans le noyau dur des artistes envoyés spéciaux, avec Yehudi Menuhin, Mstislav Rostropovitch et Charles Aznavour. Désormais, il parle ouvertement de l’affaire de Lillehammer. « À partir du moment où j’étais à l’Unesco, je ne pouvais plus me taire. Quand je parle de pardon, ce n’est pas une posture. »

Invité à se produire en Israël, il livre son témoignage à la presse. Cela fait du bruit. Résultat : en 1996, l’État hébreux décide d’indemniser Toril, la veuve d’Ahmed, et lui verse 400 000 dollars. « C’est unique, souligne l’historien Michel Bar-Zohar. À ma connaissance, c’est la seule opération où il y a eu une indemnisation. Habituellement, les opérations du Mossad ne sont jamais reconnues. » Et pour la famille Bouchikhi ? Rien. « Tout ce qu’on demandait, c’étaient des excuses, avoue Chico. Surtout à nos parents. Ils sont morts de chagrin. »

Pour l’Unesco, il répond toujours présent. En Algérie, en pleine guerre civile : « On a joué dans le stade du 5-Juillet-1962, à Alger, devant 60000 personnes. Plus personne ne sortait à ce moment-là. Tout le monde était terrifié. Même les artistes. Je leur ai dit qu’il fallait y aller. C’est maintenant que les Algériens avaient besoin d’eux. Et ils sont venus. » Il joue à Düsseldorf pour récolter des fonds pour les enfants de détresse, avec le dalaï-lama. En Israël et en Palestine : « C'était formidable de voir les Palestiniens et les Israéliens éprouver des émotions communes en entendant ma musique ». À Ramallah, une semaine après le 11-Septembre : « Là aussi, personne ne voulait y aller. La moitié de mon groupe a refusé de venir. Cela avait du sens d’aller au Proche-Orient pour apporter un message de paix. »

Après vingt-cinq ans, il a laissé sa place à un autre. « Mais ça ne veut pas dire que je ne finis pas ce que j'ai commencé. En janvier 2023, je vais jouer au Maroc pour une association qui aide les jeunes filles du monde rural à aller à l’école. » Il s’en est bien sorti, Chico : « Moi qui devrais normalement poser des bombes partout, je parcours le monde entier avec mon bâton de pèlerin en forme de guitare. » De guitare flamenca, naturellement....

Le fondateur des Gipsy Kings revient sur la tragédie qui a brisé sa famille : l’assassinat de son frère, pris pour cible par erreur par le Mossad, en 1973. Un long chemin vers la réconciliation.   Et si la guitare de Chico pouvait parler, que dirait-elle ? Est-ce qu’elle commencerait par nous raconter la folle aventure des Gipsy Kings, les tubes planétaires Djobi, Djoba et Bamboléo, les stades pleins à craquer lors des tournées en France, aux États-Unis et dans le monde ? Ou par les débuts à Saint-Tropez dans les années 1970 où Chico et ses copains gitans jouaient pour la crème de la jet-set internationale ? Est-ce qu’elle nous conterait la rencontre de Chico avec la famille Reyes, ses voisins gitans de la cité Griffeuille, où il a grandi à Arles ? Son coup de foudre pour Marthe, la fille du chanteur de flamenco José Reyes ? Et est-ce qu’elle nous confierait qu’il ne serait peut-être jamais devenu musicien si son grand frère ne lui avait offert une guitare pour ses 16 ans, alors qu’il ne savait pas encore en jouer ? Dès l’enfance, ce grand frère est son modèle : « Ahmed avait onze ans de plus que moi, c’est beaucoup quand on est petit, se souvient Chico. Il voyageait aux États-Unis ou en Afrique du Nord, parlait plusieurs langues. Nous, à Arles, ça nous faisait rêver. Quand il revenait, il nous racontait toutes sortes d’histoires. À l’étranger, il vivait de petits boulots. Et il était aussi disque-jockey dans des boîtes. Il m’a transmis sa passion…

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