Droite : Sarko m’a tuer

Michael Darmon

Obsédé par son destin personnel, l’ex-président a-t-il hâté la disparition de sa famille politique ?

 

En politique l’infanticide s’inscrit dans la droite ligne du parricide. Prenez Nicolas Sarkozy, par exemple : il a « tué le père » puis, une fois devenu président, s’est appliqué  à empêcher l’éclosion d’un possible dauphin, fut-elle une dauphine. En cela, Nicolas Sarkozy a inscrit ses pas dans ceux de son mentor trahi, Jacques Chirac, qui lui-même avait trahi Valéry Giscard d’Estaing pour aider François Mitterrand. Cet art de trucider en gants blancs, le jeune Chirac l’avait lui-même appris de son président d’alors, Georges Pompidou, qui s’y était essayé aux dépens de son Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas, le gaulliste social promoteur du « dépassement des clivages » à travers sa Nouvelle Société expédiée au cimetière des bonnes idées.

On le comprend, Nicolas Sarkozy est l’héritier d’une longue tradition. La feuille de route est limpide : d’abord on tue le père puis on liquide ses enfants. Au nom de l’intérêt supérieur d’une passion : soi-même. C’est ainsi qu’après sa défaite en 2012, l’ex-président impose à la droite un récit : il n’a pas perdu, il a presque gagné. Conséquence : le droit d’inventaire est interdit. Nicolas Sarkozy suit de très près la guerre Fillon-Copé pour la présidence de l’UMP avec l’idée qu’elle peut favoriser son retour. Un principe directeur guide son action : « Après moi le déluge ». Avec un mode opératoire hérité des années Pasqua : l’enjeu n’est pas de démontrer sa capacité à savoir nager en eaux troubles mais d’être celui qui trouble l’eau pour pouvoir nager.

Dans l’histoire politique contemporaine française – espace d’étude riche d’enseignements psychologiques, sociologiques et philosophiques – Nicolas Sarkozy aura été le promoteur d’une méthodologie de conquête inédite au regard du codex poussiéreux régissant le lien entre les politiques et leurs électeurs, les Français. Pour lui, la communication précède la décision, comme l’aviation prépare l’avancée de l’infanterie. C’est la technique du « tapis de bombes » médiatique. Nicolas Sarkozy, société de production politique à lui tout seul, crée les tableaux vivants d’un feuilleton dédié exclusivement à un objectif : la conquête du pouvoir, levier d’une revanche affective et sociale.
 

Sa force de travail, son éloquence et son énergie ont été placées au service de ses seuls bénéfices narcissiques.
 

Élevé par une mère jeune divorcée à Neuilly, la capitale de la bourgeoisie française puis des nouveaux riches, Nicolas Sarkozy est coincé entre deux frères : l’ainé le taloche et le toise, le cadet le brocarde. À l’adolescence, le petit Nicolas, puiné cabochard et revanchard, rumine sa rancœur contre les « héritiers », ces gosses d’industriels et de banquiers qui le maintiennent en bout de table. Il en conçoit une conviction : « Je les niquerai tous », profession de foi apocryphe, colportée plus tard par ses compagnons sur la route du pouvoir. Sarkozy met en œuvre ce projet en s’attaquant d’emblée au parrain du département, Charles Pasqua. Il braque un vote interne au sein de la majorité neuilléenne et le voilà, à 28 ans, un des plus jeunes maires de France.

Un célèbre cliché le montre trônant, tel un enfant roi harnaché d’un costume et d’une cravate d’un autre âge. Neuilly-sur-Scène devient le théâtre politique d’un génie du bagout et du « narratif ». Habile à dissimuler son jeune âge sous un discours et des oripeaux fleurant la naphtaline, Nicolas Sarkozy séduit ses administrés. Des années plus tard, alors qu’il atteint la cinquantaine, il change prestement d’habits pour conquérir l’Élysée au terme d’une campagne dont l’argument central est devenu « Place aux jeunes » !

Durant toute sa vie publique, Nicolas Sarkozy n’a suivi qu’une seule ligne : la sienne. « Fidèle à mes intérêts », telle pourrait être sa devise. Sa force de travail, son éloquence et son énergie – sujet d’observation d’un grand intérêt anthropologique – ont été placées au service de ses seuls bénéfices narcissiques. Son mantra, « la passion », mot balise décliné sur tous les tons comme autant de jalons de son action à travers les années de son magistère, résulte une fois de plus d’une triangulation sémantique : Nicolas Sarkozy a surtout la passion de lui-même, même et surtout lorsqu’il s’agit de préserver un statut social déclinant.

Trahir, on l’a vu, est une constante de l’action politicienne, à droite notamment. Après avoir été chassé de l’Élysée, battu à l’issue d’un unique mandat, puis licencié sèchement par sa propre famille lors de la primaire de 2016, c’est donc tout naturellement, que Nicolas Sarkozy se consacre à plein temps à la destruction de son camp. Il s’agite, invente la fonction d’ex-président : conférences, livres, et rendez-vous très peu discrets avec les barons LR, suggérant un rôle de marionnettiste, une influence politique de plus en plus revendiquée à mesure qu’elle s’estompe. Il faut occuper le terrain pour masquer le triste réel : son bureau de la rue de Miromesnil n’est rien de plus qu’une maison d’une retraite dorée, sonnante et trébuchante.

Inlassable, Nicolas Sarkozy monte une nouvelle pièce qui aurait pu avoir pour titre : « La Vérité, sagement » dans laquelle il joue le rôle d’un parrain politique distribuant blancs-seings et anathèmes. La réalité est assez différente : mis à part quelques satrapes dévoués, Nicolas Sarkozy n’impressionne plus personne. Désormais, il rencontre les plus grandes difficultés à peser sur les nominations et les promotions. Emmanuel Macron aime jouer au chat et à la souris avec l’ex-président qui multiplie démarches et requêtes, le plus souvent sans résultat. L’actuel locataire de l’Élysée, qui a oublié d’être naïf, a d’emblée perçu l’angoisse de l’ex, terrifié à l’idée d’être hors jeu, voir has been. Il a méthodiquement et sans états d’âme appuyé sur ce point sensible.

Pour la campagne de 2022, tout était en place. Durant le quinquennat, Sarkozy avait vendu à Macron un accord avec la droite dans une réplique moderne du ticket RPR-UDF du temps béni des beaux jours de la droite. Macron a toujours écouté sans rien répondre, tout en pensant que Sarkozy n’avait pas tort. Sauf sur un point : cela se passera sans lui. Acharné à la mise en œuvre de sa stratégie, Nicolas Sarkozy a foncé, tête baissée comme toujours. Et il est sorti du cadre. En appelant à soutenir Emmanuel Macron, en humiliant Valérie Pécresse, il a franchi le Rubicon. Un choc pour les grognards de la droite, une confirmation pour la jeune génération : il est temps d’arrêter de confondre leur parti avec un comité de soutien d’un ancien président dont l’avenir judiciaire est loin d’être éclairci. Désormais, militants historiques et jeunes adhérents s’accordent sur la nécessité de déboulonner la statue du commandeur. Très bien, mais très tard. L’histoire de la présidentielle 2022 aurait-elle été différente si Valérie Pécresse, qui se targuait volontiers de ne pas être une groupie, avait eu le cran de se démarquer clairement du leader déchu ? On ne le saura jamais.

 
Il a trouvé, au sein des conseils d’administration auxquels il participe, des oreilles attentives, des yeux brillants et un public sensible à ses qualités de showman.
 

Ce qui est certain, en revanche, c’est que Nicolas Sarkozy a été désarçonné par le vent de colère qui a soufflé sur les militants, qui n’ont pas hésité à le huer. Comme si trahir n’était plus de mode… Quand les temps changent, il faut savoir s’adapter. En cycliste averti, Sarkozy change de braquet. Il fait passer des messages de soutien à Laurent Wauquiez, pressenti par les caciques de LR pour être le nouveau champion de la droite en 2027. Devenu officiellement pro-Macron, Sarko affirme désormais que Wauquiez est « le plus brillant ». Il a même toujours su que c’était le cas, confie-t-il à ses interlocuteurs qui s’empressent de le répéter. Qu’importe si beaucoup ont encore en mémoire les propos venimeux régulièrement distillés sur le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes en petit comité. Autres temps, autres maîtres.

Comme tous les fauves politiques, Nicolas Sarkozy a senti depuis longtemps que son pouvoir d’attraction a faibli au sein du monde politique. Cela fait quelque temps déjà qu’il a trouvé, au sein des conseils d’administration auxquels il participe, des oreilles attentives, des yeux brillants et un public sensible à ses qualités de showman. Les patrons sont flattés de la présence d’un ancien président de la république autour de la table. The show must go on. Au sein du groupe Lagardère, repris par son ami Vincent Bolloré, Nicolas Sarkozy peut même s’adonner à son péché mignon : influencer à distance la composition des rédactions du groupe contrôlé par Vivendi. Ce n’est qu’une des nombreuses activités de ce retraité très actif qui se rend très régulièrement en Afrique pour jouer les intermédiaires.

Ainsi va la vie à droite depuis des générations : le passage de témoin n’est toujours pas inscrit dans le règlement intérieur.  « Y a-t-il quelqu’un pour sauver la droite ? », se demandait en couverture Le Figaro Magazine du 25 novembre 2022. Éric Ciotti et la nouvelle direction de LR auront effectivement fort à faire pour éviter que leur parti ne se réduise à une force d’appoint et démentir le célèbre propos de Guy Mollet qui avait autrefois qualifié ce courant politique de « droite la plus bête du monde ». S’ils échouent, Nicolas Sarkozy, pour avoir inlassablement œuvré à empêcher que s’installe à l’Élysée un nouveau (ou une nouvelle) personnalité issue de son camp, restera sans doute comme l’ultime fossoyeur de cette famille décomposée.

 

Ancien chef du service politique d’Europe 1 et présentateur de l’émission politique « Le Grand Rendez-vous », Michaël Darmon est aujourd’hui éditorialiste pour la chaîne I24 News et BFM TV. Il intervient aussi sur RTL dans l’émission « On refait le monde » et il est l’auteur d’une dizaine d’essais politiques, dont Les Secrets d’un règne (éd. l’Archipel, 2021)....

Obsédé par son destin personnel, l’ex-président a-t-il hâté la disparition de sa famille politique ?   En politique l’infanticide s’inscrit dans la droite ligne du parricide. Prenez Nicolas Sarkozy, par exemple : il a « tué le père » puis, une fois devenu président, s’est appliqué  à empêcher l’éclosion d’un possible dauphin, fut-elle une dauphine. En cela, Nicolas Sarkozy a inscrit ses pas dans ceux de son mentor trahi, Jacques Chirac, qui lui-même avait trahi Valéry Giscard d’Estaing pour aider François Mitterrand. Cet art de trucider en gants blancs, le jeune Chirac l’avait lui-même appris de son président d’alors, Georges Pompidou, qui s’y était essayé aux dépens de son Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas, le gaulliste social promoteur du « dépassement des clivages » à travers sa Nouvelle Société expédiée au cimetière des bonnes idées. On le comprend, Nicolas Sarkozy est l’héritier d’une longue tradition. La feuille de route est limpide : d’abord on tue le père puis on liquide ses enfants. Au nom de l’intérêt supérieur d’une passion : soi-même. C’est ainsi qu’après sa défaite en 2012, l’ex-président impose à la droite un récit : il n’a pas perdu, il a presque gagné. Conséquence : le droit d’inventaire est interdit. Nicolas Sarkozy suit de très près la guerre Fillon-Copé pour la présidence de l’UMP avec l’idée qu’elle peut favoriser son retour. Un principe directeur guide son action : « Après moi le déluge ». Avec un mode opératoire hérité des années Pasqua : l’enjeu n’est pas de démontrer sa capacité à savoir nager en eaux troubles mais d’être celui qui trouble l’eau pour pouvoir…

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