Dix minutes chrono

Nicolas Roux

C’est la dernière tendance. Le fin du fin de la mode ou le début de la fin du monde. Enfin du moins je l’espère, mais je pèche sans doute par excès d’optimisme : dans le pire, l’humain fait preuve d’une créativité telle que la suite nous prouvera sans doute que non, ce n’était pas la dernière. Mais que voulez-vous, je m’accroche aux espoirs les plus ténus. 
Bref, plusieurs entrepreneurs, toujours soucieux d’avoir une bonne idée avant les autres, et souvent rassurés quand ils sont plusieurs à l’avoir en même temps, ont lancé des applis permettant de se faire livrer ses courses en dix minutes, sans bouger de chez soi. C’est en tout cas ce qui est vendu dans les publicités affichées en beaucoup trop grand dans le métro. 
Passons rapidement sur l’élégance des publicitaires qui ont réussi à vendre, sans doute en expliquant que c’était disruptif, l’idée qu’il serait de bon goût de mettre sur une même affiche un rouleau de papier toilette et une tablette de chocolat avec cette distinguée légende : « Un besoin pressant ? » Je cite de mémoire mais l’idée est là. Je ne sais pas si cette histoire de dix minutes est vraie ou pas. Ni si les livreurs trop lents seront pendus en place publique, et ce sera bien fait pour eux, ils n’avaient qu’à traverser la rue et trouver un vrai travail. Il y a peut-être, sans doute, un astérisque quelque part qui précise discrètement que c’est une moyenne, donnée à titre indicatif et non contractuelle. Mais le problème n’est même plus là. Ce qui me gêne, ce n’est pas l’acte, mais la promesse. Et le fait qu’elle nous soit vendue comme un progrès. Mieux, comme une révolution. 
Ce que ces applis disent de nous, de notre époque, c’est que nous n’avons plus de temps à perdre. Et c’est vertigineux. Du temps perdu, mais perdu pour qui ? Et que sommes-nous censés faire de ces précieuses minutes gagnées en ne faisant pas les courses ? D’ailleurs non, juste en n’allant pas les chercher, puisqu’il nous faudra quand même les choisir en scrollant frénétiquement sur notre téléphone. Que faire de ces dizaines de secondes sauvées, arrachées de haute lutte à notre quotidien chronométré ? Quelque chose pour nous ? Ou alors pour les autres ? Mystère… 

Ce que ces applis disent de nous, de notre époque, c’est que nous n’avons plus de temps à perdre.
Et c’est vertigineux.

Ce que ces applis nous disent, c’est que nous devons être efficaces, productifs. Partout et toujours. Qu’il n’y a pas le temps de prendre le temps. Qu’on peut, qu’on doit aller plus vite. Que si on ne le fait pas, c’est qu’on ne le veut pas. Et que c’est scandaleux. Ce que ces applis nous imposent, c’est de revoir le process. C’est un audit de nos vies. L’impression qu’un cabinet de conseil surpayé s’est penché sur notre organisation humaine et qu’il en pointe les dysfonctionnements d’une conclusion définitive : « C’est l’heure de rationaliser. Tout ce temps perdu à faire vos courses alors que vous pourriez répondre à des mails ou regarder des publications sponsorisées sur Instagram, c’est du gâchis. Ne vous inquiétez pas, nos experts vont remédier à tout ça. Et pour le reste, voyez avec mon assistante. » 
Ce sera sans moi. Ce nouveau monde a oublié que le temps perdu, ça n’existe pas. L’adolescente terrassée de douleur après sa première rupture amoureuse n’a pas perdu son temps. Elle a grandi. Le monsieur qui a raté son bus et décidé de rentrer à pied en passant par le bois n’a pas perdu son temps. Il a respiré, réfléchi, rêvassé. Celle qui n’a rien fait de sa journée, celui qui s’est longuement avachi devant un talk-show lénifiant, celle qui a lu un bouquin moyen mais qu’elle voulait finir, celui qui a essayé de réparer sa machine à café alors qu’elle n’était simplement pas branchée, tous ceux-là n’ont pas perdu leur temps. Ils ont vécu. Aucune loi, même divine, même marketing, ne nous oblige à être constamment productifs. Le seul temps perdu est celui des Marcel (Proust et Pagnol). Ou celui de Barbara. « Il y a si peu de temps entre vivre et mourir, qu’il faudrait bien pourtant s’arrêter de courir. » Et j’en viens à me demander si le temps, c’était pas mieux avant ?...

C’est la dernière tendance. Le fin du fin de la mode ou le début de la fin du monde. Enfin du moins je l’espère, mais je pèche sans doute par excès d’optimisme : dans le pire, l’humain fait preuve d’une créativité telle que la suite nous prouvera sans doute que non, ce n’était pas la dernière. Mais que voulez-vous, je m’accroche aux espoirs les plus ténus.  Bref, plusieurs entrepreneurs, toujours soucieux d’avoir une bonne idée avant les autres, et souvent rassurés quand ils sont plusieurs à l’avoir en même temps, ont lancé des applis permettant de se faire livrer ses courses en dix minutes, sans bouger de chez soi. C’est en tout cas ce qui est vendu dans les publicités affichées en beaucoup trop grand dans le métro.  Passons rapidement sur l’élégance des publicitaires qui ont réussi à vendre, sans doute en expliquant que c’était disruptif, l’idée qu’il serait de bon goût de mettre sur une même affiche un rouleau de papier toilette et une tablette de chocolat avec cette distinguée légende : « Un besoin pressant ? » Je cite de mémoire mais l’idée est là. Je ne sais pas si cette histoire de dix minutes est vraie ou pas. Ni si les livreurs trop lents seront pendus en place publique, et ce sera bien fait pour eux, ils n’avaient qu’à traverser la rue et trouver un vrai travail. Il y a peut-être, sans doute, un astérisque quelque part qui précise discrètement que c’est une moyenne, donnée à titre indicatif et non contractuelle. Mais…

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