Ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait autres, deux jeunes femmes secouent la scène comique parisienne et nationale. Thaïs Vauquières et Rosa Bursztein, deux humoristes trentenaires, remplissent les salles en évoquant crûment leur sexualité et parlent de plaisir sans précautions ni périphrases, ce qui, souvent, leur vaut à toutes les deux d’être présentées comme « la nouvelle Blanche Gardin ». Outre que Blanche Gardin se renouvelle très bien toute seule, merci, ferait-on le même rapprochement, très proche du raccourci, entre deux humoristes hommes ?
L’une, Rosa, apparaît sur scène pieds nus en pyjama de soie quand l’autre, Thaïs, y débarque en soutien-gorge, avant de finir son spectacle en robe de mariée. La première a grandi à Paris entre deux parents bourgeois intellos quand la deuxième revendique fièrement des origines jurassiennes. Thaïs a fait ses armes dans le théâtre d’impro quand Rosa a fait la classe libre du cours Florent et a tenté le conservatoire. Rosa anime un podcast, une émission sur YouTube et filme chaque semaine un extrait exclusif de son spectacle pour les réseaux, quand Thaïs multiplie les chroniques dans l’émission « Les Piquantes » sur Téva ou sur RTL et se contente d’apparitions aussi natures que drôles sur ses réseaux. Bref, peu de comparaisons possibles entre les deux jeunes femmes Mais, après les avoir vues sur scène, un constat semble évident : les lignes ont bougé. Sans doute en partie grâce à elles. Et les geignards qui squattent les plateaux télé pour répéter jusqu’à la nausée qu’on ne peut plus rien dire, qui en appellent sans cesse à Desproges et à Coluche, en sont pour leur frais. Thaïs Vauquières et Rosa Bursztein jouent chaque soir à guichet fermé en disant ce qu’elles veulent sur des sujets qu’elles choisissent librement. Sans tabous et (presque) sans provocation.
Dans son spectacle, Hymne à la joie, Thaïs Vauquières, formidable comédienne et autrice exigeante, mélange stand-up et personnages. Quand elle l’a commencé il y a cinq ans, certains lui ont dit que l’équation était périlleuse. Aujourd’hui, tout le monde la félicite parce que c’est exactement ce qu’il faut faire. Elle ne se souvient pas s’être posé la question. Pas plus d’ailleurs qu’elle ne s’est demandé en l’écrivant si le texte était particulièrement féministe. A posteriori, elle se rend compte que si. Que son sketch sur la pilule du lendemain, par exemple, a sans doute une certaine résonance. Tant mieux. Mais son but n’est pas là. Si elle parle d’elle c’est avant tout pour s’adresser aux autres. Si elle se dévoile, c’est pour apaiser les inquiétudes. Si, en sortant de son spectacle, au moins une personne se dit : « Ah ! Je ne suis pas seule à vivre ça ! », Thaïs est comblée. À condition que la personne ait ri aussi, précise-t-elle. L’un ne va pas sans l’autre et le rire reste sa principale exigence. Qu’elle se rassure, toutes les cases du contrat sont cochées.
Pour Rosa, le déclencheur est ailleurs. Elle veut transformer l’expérience de la vie. Elle n’aime pas les « petits sentiments ». Ce qu’elle recherche, c’est la folie. Ce qui bouscule. Ce qui transporte. Ce qui transcende. Son rapport à l’humour nous évoque une phrase de Romain Gary : « L’humour est l’arme blanche des hommes désarmés. Il est une forme de révolution pacifique et passive que l’on fait en désamorçant les réalités pénibles qui vous arrivent dessus. » Si elle ne joue pas de personnage sur scène, c’est parce que, dit-elle, « le stand-up est un exercice de soi ». Se raconter sur scène est pour elle un exercice paradoxalement pudique. Comme elle le dit dans son spectacle, sobrement intitulé Rosa, si elle parle de cul, c’est pour ne pas être cucul. Et elle y arrive, même dans ses vidéos YouTube, « L’un dans l’autre », où elle invite d’autres humoristes à regarder et commenter des films pornos à ses côtés. Un concept qu’elle a testé en tournant un pilote… avec sa mère.
Au-delà de leurs différences, Thaïs Vauquières et Rosa Bursztein sont la preuve, vivante et éclatante, que l’humour a un pouvoir. Qu’il peut faire passer et avancer des idées. Qu’il n’accompagne pas seulement des changements, mais les provoque. Et Coluche ou Desproges ne diraient certainement pas le contraire.
Thaïs Vauquières au Théâtre du Gymnase Marie-Bell, Paris 10e, les vendredis et samedis, et en tournée dans toute la France. Plus d’infos : thais.tv
Rosa Bursztein, à la Comédie de Paris, Paris 9e, les mardis et mercredis, et en tournée dans toute la France. Plus d’infos : rosabursztein.fr