La définition du bonheur semble avoir été longtemps déléguée aux religions, aux philosophies ou même au politique. Aujourd’hui, c’est l’industrie pharmaceutique qui déploie les outils de la science, du marché et de la communication pour offrir une réponse standardisée aux ultimes aspirations humaines. Le motif de la pilule – qui court dans l’inconscient collectif et la pop culture (d’Alice au pays des merveilles à Matrix) – exprime une réponse quasiment magique aux faiblesses, aux mélancolies, aux inacceptables limitations de la […]
La définition du bonheur semble avoir été longtemps déléguée aux religions, aux philosophies ou même au politique. Aujourd’hui, c’est l’industrie pharmaceutique qui déploie les outils de la science, du marché et de la communication pour offrir une réponse standardisée aux ultimes aspirations humaines. Le motif de la pilule – qui court dans l’inconscient collectif et la pop culture (d’Alice au pays des merveilles à Matrix) – exprime une réponse quasiment magique aux faiblesses, aux mélancolies, aux inacceptables limitations de la condition humaine. La promesse de transformation et de guérison par la chimie offre la métaphore la plus parfaite d’une société prométhéenne qui ne croit qu’en l’efficacité, la puissance, la jeunesse et la performance. Une société où l’apparence du bonheur vaut presque mieux que le bonheur, où la représentation s’impose sur le réel. Pendant cinq ans, le journaliste Arnaud Robert et le photographe Paolo Woods ont traversé le monde à la recherche des Happy Pills, ces médicaments qui réparent une blessure humaine, ces molécules qui font bander, travailler, agir, ces formules qui permettent aux dépressifs de ne pas totalement sombrer, ces antidouleurs que les travailleurs pauvres avalent dans l’espoir de nourrir leur famille. Partout, du Niger aux États-Unis, de la Suisse à l’Inde, d’Israël à l’Amazonie, Big Pharma s’est répandue pour offrir des solutions immédiates là où il n’y avait que d’éternels problèmes.
En Haïti, les marchands de rue sont les principaux vendeurs de médicaments. Les pilules sont considérées comme un bien de consommation ordinaire. Les marchands commercialisent tout ce qui leur tombe sous la main – pilules abortives, contrefaçons de Viagra, génériques chinois, cachets périmés laissés par des ONG ou médicaments contrefaits importés de République Dominicaine. Ils n’ont reçu aucune formation médicale. Ces marchands ambulants font office de pharmaciens mais aussi de confesseurs. « Les gens n’ont pas de secrets pour nous. Ils nous parlent de leurs infections, de leurs problèmes digestifs et sexuels. Pour chaque problème, nous avons une pilule. » Aristil Bonord, 36 ans
Julène Clerger, 37 ans
Dans plus de vingt pays, nous avons posé cette question simple : « Pouvez-vous sortir vos médicaments ? » Une boîte à pharmacie est une autobiographie des maux, la mémoire étrangement archivée des troubles passés. Elle est un confessionnal. Elle révèle le secret de nos humeurs, de nos intérieurs, de nos faiblesses. Dans ces miroirs moléculaires, nous avons commencé à comprendre ce que nous cherchions dans Happy Pills : moins l’industrie pharmaceutique que le consommateur, moins la structure que l’intime. Si nous conservons ces produits chez nous, c’est parce qu’ils prouvent que nous pouvons aller mieux. (Photos prises avec Gabriele Galimberti) Suisse. Arnaud Brunel et sa femme, dans leur appartement de Lausanne.
Japon. Yasumasa, 70 ans, et sa femme Nobuka, 66 ans, dans leur chambre.
Haïti. Wholl-Lima Balthazan, 56 ans, sa mère Silemoieux Charikable, 76 ans, et son fils Lozèma Astrel, 20 ans, dans leur maison de Port-au-Prince.
L’Inde est une nation de bodybuilders, où l’industrie pharmaceutique fournit en hormones de croissance ou en stéroïdes les athlètes. « Il n’existe pas de culturistes en compétition sans stéroïde. Et ceci nulle part dans le monde », explique Vishal, un entraîneur de Bombay. Ces corps dopés sont le théâtre d’une virilité paradoxale. Les culturistes sont des masses dépourvues de force. Leurs muscles existent pour être contemplés et non pour agir. Les effets secondaires des stéroïdes incluent la réduction des testicules et l’impuissance.
Roy Dolce, gigolo italien, dans un hôtel de la station thermale de Montecatini Terme, en Toscane. Roy consomme des stimulants sexuels, la plupart du temps du Viagra et du Cialis, avant chacune de ses prestations. Il explique : « Quand je ressens un léger picotement de chaleur, que mes yeux deviennent humides et brillants, lorsque mes cheveux me tirent un peu, je sais que le médicament commence à faire effet. Cela me rassure. Je sais que je ferai une bonne performance. » Le Viagra est une icône de la pop culture. La pilule bleue promet efficacité mécanique et performance durable. Elle permet de bander sans entrave du cerveau. 4 milliards de comprimés de Viagra sont vendus à travers 70 pays dans le monde chaque année. 8 saisies sur 10 de médicaments illégaux concernent des pilules pour traiter les troubles de l’érection.
Addy a 15 ans. Elle pratique le cheerleading, se rend à contrecœur à l’église le dimanche et passe l’essentiel de son temps libre sur les réseaux sociaux. Elle ressemble à toutes les adolescentes de son âge. Pourtant, depuis deux ans, Addy consomme quotidiennement des pilules d’Adderall, une amphétamine qui traite les troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Après des résultats scolaires médiocres, la mère d’Addy a financé une série de tests psychologiques qui ont abouti au diagnostic. Dans l’État du Massachusetts, où la famille d’Addy réside, les enfants diagnostiqués avec un TDAH bénéficient d’un soutien scolaire particulier et d’un aménagement des cours. Aux États-Unis, 10 % des enfants (de 2 à 17 ans) sont diagnostiqués avec un TDAH et trois quarts d’entre eux reçoivent un traitement médicamenteux.
À Genève, les immenses entrepôts de la multinationale Covance abritent des fermes de réfrigérateurs qui contiennent des millions d’échantillons de sang recueillis dans le monde entier lors de tests cliniques. Ils sont conservés précieusement à − 70°C et sont considérés comme un trésor réutilisable à l’infini pour tester les effets de futures molécules.
La question du bonheur et, plus largement, celle du plaisir sont devenues centrales dans la recherche médicale. À l’université de Fribourg, en Suisse, une équipe de chercheurs tente de localiser dans le cerveau des rats la zone précise d’où le rire jaillit. La biologiste Diana Roccaro est une chatouilleuse de rats professionnelle. Chez certains rongeurs, une partie du cerveau nommée hypothalamus est détruite ; elle est censée abriter le siège du rire. Lorsque les rats en sont privés , ils ne rient plus. L’idée de stimuler de manière chimique le siège du rire chez les humains suscite des espoirs à plus ou moins long terme dans l’industrie pharmaceutique.
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