Corps chagrin

La trentaine est souvent l’occasion d’un premier bilan, comme pour l’héroïne d’Aesthetica... et bien d’autres Je sens autour de moi venir la crise de la trentaine. Elle frappe principalement mes amis les plus seuls, ceux qui ne sont ni installés, ni parents, ni mariés. Elle ressemble un peu au mouvement de l’eau lorsqu’un objet pénètre sa surface et la trouble. Ce n’est pas vraiment une comète repérée depuis quelque télescope existentiel (même si l’on grandit avec cette idée de seuil à turbulences que les décennies, guillotines implacables, marquent depuis nos 20 ans). C’est plutôt un frémissement qui questionne. À 30 ans, on se penche enfin sur soi après avoir passé une partie de sa jeunesse (c’est-à-dire la totalité de sa vie) comme dans une Formule 1, à pousser à fond les tours de circuit, à osciller entre le que-faire ? (aspiration au meilleur, rendre fier nos parents qu’ils puissent évoquer notre cas sans rougir au dîner) et une certaine pulsion grisante du j’ai-ma-vie-entre-les-mains-je-suis-riche-(libre)-de-tout-saccager, jouer les malins sans le casque et les yeux fermés, à risquer  l’écrasement : l’important ce n’est pas la vitesse,c’est le sentiment de propulsion ;  on se penche donc pour constater. Trente ans, c’est peut-être la première fois qu’on respire, et en même temps, qu’on se sent gêné. Comme si l’air n’était pas le bon. Une amie inspecte nuit et jour sa ride du lion. Un autre vient de passer le concours de recrutement des forces de l’ordre. Une autre se préparer à quitter son job d’avocate…