8 mars

La route de l’égalité

par Isabelle Rome

Pour qu’hommes et femmes parviennent enfin à être réellement égaux, il faut absolument éradiquer les violences faites aux femmes. Aujourd’hui, la honte change de camp.
J’ai très vite compris, dès mes premières années en tant que magistrate, l’importance et la portée des droits de l’Homme, en commençant ma carrière comme juge de l’application des peines à Lyon, dans une prison surpeuplée. Toutefois, c’est au fil des années que j’ai pu réellement saisir les enjeux de l’égalité entre les femmes et les hommes et, comme présidente de cour d’assises, la gravité de ce que sont les violences faites aux femmes. Ces violences, en effet, ont des répercussions profondes, non seulement sur l’égalité femmes-hommes, mais sur l’ensemble de la société. Elles sont un véritable désastre.
La France a fait le choix d’une approche par le droit afin de garantir l’émancipation des femmes. La seconde moitié du xxe siècle a ainsi été marquée par une succession de droits qui ont permis aux femmes de jouir d’une plus grande liberté et autonomie: le droit de vote en 1944, le droit de travailler sans l’assentiment du conjoint et d’avoir un compte bancaire en 1965, le droit d’accès à la contraception quelques années plus tard et enfin la dépénalisation de l’avortement et le droit d’y recourir sous certaines conditions en 1975.
Ces avancées juridiques fondamentales se sont ensuite accompagnées de mesures destinées à garantir une participation équitable des femmes à la vie politique et économique. La loi sur la parité adoptée en 2000, visant à assurer un accès égal des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, a ainsi permis des avancées notables. En effet, alors que les femmes représentaient seulement 11% des membres de l’Assemblée nationale en 1997, elles constituent aujourd’hui 36% des députés. Le secteur privé a lui aussi été concerné par ces initiatives: la loi de 2011 sur la parité dans les conseils d’administration des grandes entreprises, suivie de celle de 2021 concernant les comités exécutifs, a permis à la France de devenir le premier pays au monde en matière de représentation des femmes dans les conseils d’administration.
Les femmes représentaient seulement 11 % des membres de l’Assemblée nationale en 1997, elles constituent aujourd’hui 36 % des  députés.
Ces actions ont été renforcées par la mise en place de l’index sur l’égalité professionnelle, qui vise à mesurer et à corriger les écarts de traitement au sein des entreprises privées. En tant que ministre, fidèle à la maxime «ce qui ne compte pas ne compte pas», j’ai élaboré le plan quadriennal Toutes et tous égaux, qui a permis l’extension de cet index à la fonction publique. Le renforcement de la loi Sauvadet de 2012 permettra également d’élever à 50% le seuil minimal de représentation des deux sexes parmi les primo-nommés aux postes de direction dans la fonction publique, contre 40% précédemment.
La loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 est venue parfaire ces dispositifs en imposant aux administrations et aux employeurs publics de signer des accords relatifs à l’égalité professionnelle. Ces engagements cruciaux visent ainsi à réduire les écarts de rémunération, à favoriser la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle, ainsi qu’à prévenir les violences sexistes et sexuelles.
Rappelons-le : un conjoint violent n’est pas un bon père.
Car l’égalité réelle ne peut se faire sans éradiquer les violences faites aux femmes. J’ai eu l’opportunité, en tant que haute fonctionnaire chargée de l’égalité femmes-hommes au ministère de la Justice, de coordonner en 2019 le «Grenelle des violences conjugales», qui a abouti à un plan d’action global et efficace permis par le concours des administrations, des associations, des acteurs de terrain et des familles de victimes.
Cette mission s’est accompagnée d’une double prise de conscience. Tout d’abord, de l’importance du phénomène d’emprise, qui a permis l’introduction de ce terme dans la loi. Mais aussi des effets dévastateurs des violences conjugales sur les enfants, qui justifie une remise en cause de l’exercice de l’autorité parentale et la reconnaissance du statut de victime aux enfants. Rappelons-le: un conjoint violent n’est pas un bon père. Cette prise de conscience s’est traduite par des mesures concrètes, qui tentent de répondre aux situations difficiles, souvent urgentes, dans lesquelles se trouvent les femmes victimes de violence.
Pour autant, ces droits ne peuvent être pris pour acquis – ce qu’une loi peut faire, une autre loi peut le défaire – et il s’agit à présent de les protéger et les pérenniser. Le rempart de la Constitution en constitue la meilleure garantie. L’inscription du droit à recourir à l’IVG dans la Constitution française le 8 mars 2024 revêt ainsi une signification d’autant plus profonde compte tenu des régressions observées dans d’autres pays. La France place ainsi ce droit fondamental sous la protection la plus absolue, le garantissant contre toute remise en cause législative et le hissant au sommet de la hiérarchie des normes juridiques. J’ai beaucoup porté l’idée que cette mesure résulte d’un projet de loi, plutôt que d’une proposition de loi, qui aurait exigé un référendum et ouvert un débat dont les contours auraient pu s’éloigner considérablement du sujet.
Il y a quelques semaines, le procès de Mazan a interpellé le monde entier et a suscité une forte attention internationale avec plus de 100 accréditations de médias étrangers. (Dominique Pelicot a été condamné à une peine de vingt ans de prison assortie d’une mesure de sûreté des deux tiers pour avoir drogué Gisèle, sa femme, afin de la violer et de la livrer à des dizaines d’inconnus). Ce procès a provoqué un choc de vérité sur ce qu’est le viol – commis dans 90% des cas par un membre de l’entourage –, qui en sont les auteurs – des hommes souvent d’apparence banale – et a mis en lumière le courage exceptionnel des victimes. Aujourd’hui, la honte change de camp.
Cette prise de conscience doit informer notre définition du viol. C’est pourquoi je défends depuis plusieurs années l’idée d’une révision de la définition de ce crime afin d’y inclure explicitement la notion de non-consentement, qui permettrait aux juges de disposer d’un cadre plus juste pour prendre en compte la parole des victimes.
Il ne s’agit pas, dans la présentation de l’approche française de l’égalité femmes-hommes, de donner de leçon, mais bien de mettre à disposition une expertise, d’instaurer un dialogue constructif, dans le cadre de relations bilatérales, et de partager les bonnes pratiques.
Il s’agit aussi de ne jamais oublier toutes les femmes et les filles violentées et opprimées dans le monde, privées de droits et de libertés ou d’accès à l’école.
La lutte contre l’impunité des viols comme crimes de guerre doit être renforcée. Ces faits indignes de l’humanité doivent être poursuivis et jugés, les victimes doivent pouvoir être accompagnées. Leur souffrance doit être réparée. C’est pourquoi je me suis récemment rendue en Ukraine, avec l’ONG We Are Not Weapons for War, pour y rencontrer des survivantes et des survivants de telles violences et élaborer des recommandations en la matière, en lien avec les services de la procurature et des organisations locales de la société civile.
Il faut aussi pouvoir nommer les crimes qui ne le sont pas encore. Organiser de manière systématique l’effacement d’une partie de la population en raison de son genre, comme c’est le cas en Afghanistan, ne pourrait- il être considéré comme un apartheid de genre, susceptible de constituer un crime contre l’humanité? Une réflexion pourrait être utilement engagée en ce sens.
Les Afghanes doivent pouvoir aller à l’école. Elles doivent pouvoir travailler. Elles doivent pouvoir être représentées dans les sphères médiatiques, publiques ou politiques. Elles doivent pouvoir prétendre à une vie libre, sans violence ni contrainte. La liberté et l’égalité ne sont pas réservées à un genre. Ce sont des valeurs universelles, dont on ne saurait priver 50% de la population afghane. Le port de la burqa a été établi dans la rue. Les femmes ont été exclues des sphères économiques et médiatiques, des lieux de pouvoir, des universités et – ultime coup de semonce – de l’école passé 12 ans.
Des droits fondamentaux de liberté et d’égalité que les femmes afghanes avaient conquis de haute lutte ces deux dernières décennies et dont elles s’étaient résolument emparées. Ce coup de tonnerre constitue une régression sans précédent. Il s’agit pourtant de droits inaliénables. Des droits qui ne sauraient souffrir d’aucune équivoque.
La lutte contre l’impunité des viols comme crimes de guerre doit être renforcée.
Car derrière cette régression, ce sont des rêves brisés; ce sont des destins corsetés. Oui, l’Afghanistan est devenu une prison à ciel ouvert pour toutes les Afghanes. La talibanisation du pays – que la jeune génération n’avait pas connue – rime avec oppression des femmes. Des Afghanes dont le courage nous couvre d’humilité et nous oblige. Malgré la menace des kalachnikovs, elles n’ont eu de cesse – depuis le 15 août 2021 – de descendre dans la rue pour défendre leurs droits les plus élémentaires. Sur les cendres de leur liberté, à Hérat, à Kapisa, à Takhar, elles ont défié l’obscurantisme; parfois au péril de leur vie.
N’en déplaise aux nouveaux maîtres du pays, ces femmes sont l’honneur de l’Afghanistan. L’Afghanistan de demain ne pourra se bâtir sans les femmes. Elles sont la voix de l’espoir. Une voix dont nous devons faire résonner l’écho hors des frontières afghanes.

Tour à tour magistrate, haute fonctionnaire et enfin ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Isabelle Rome est ambassadrice pour les droits de l’Homme....

Pour qu’hommes et femmes parviennent enfin à être réellement égaux, il faut absolument éradiquer les violences faites aux femmes. Aujourd’hui, la honte change de camp. J’ai très vite compris, dès mes premières années en tant que magistrate, l’importance et la portée des droits de l’Homme, en commençant ma carrière comme juge de l’application des peines à Lyon, dans une prison surpeuplée. Toutefois, c’est au fil des années que j’ai pu réellement saisir les enjeux de l’égalité entre les femmes et les hommes et, comme présidente de cour d’assises, la gravité de ce que sont les violences faites aux femmes. Ces violences, en effet, ont des répercussions profondes, non seulement sur l’égalité femmes-hommes, mais sur l’ensemble de la société. Elles sont un véritable désastre. La France a fait le choix d’une approche par le droit afin de garantir l’émancipation des femmes. La seconde moitié du xxe siècle a ainsi été marquée par une succession de droits qui ont permis aux femmes de jouir d’une plus grande liberté et autonomie: le droit de vote en 1944, le droit de travailler sans l’assentiment du conjoint et d’avoir un compte bancaire en 1965, le droit d’accès à la contraception quelques années plus tard et enfin la dépénalisation de l’avortement et le droit d’y recourir sous certaines conditions en 1975. Ces avancées juridiques fondamentales se sont ensuite accompagnées de mesures destinées à garantir une participation équitable des femmes à la vie politique et économique. La loi sur la parité adoptée en 2000, visant à assurer…

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