La Ténèbre

Xavier Couture

Ils s’appellent Jean-Marc Rochette, ou bien Jean Giraud alias Moebius, et puis il y a aussi Jacques Tardi, Pénélope Bagieu, Marjane Satrapi, et encore Jean Van Hamme et Claire Brétécher, Didier Convard, Marion Montaigne ou Catherine Meurisse et puis tous les autres, ces talents de la planche, ces as de la bulle, ces artistes de la ligne claire ou des jeux d’ombres. Ils ont rempli mes yeux. Ils ont peuplé mon imaginaire d’un réel sublimé ou d’ailleurs merveilleux. Et si le monde n’existait plus que dans sa représentation magnifiée par le trait et la couleur ? Dans L’Incal, une série d’albums époustouflants, les génies conjugués de Jodorowsky et Moebius ont créé un héros ordinaire, un citoyen lambda : John Difool. Il aspire à vivre en paix avec son animal de compagnie, un volatile étrange nommé Deepo, aussi pacifique que son complice humain. Ils sont confrontés à l’envahissement de l’univers par une obscurité terrifiante : la Ténèbre. Et John Difool, l’homme ordinaire, donne un sens à son existence, sans le décider vraiment, en devenant le sauveteur de la galaxie.

Aujourd’hui, la planète vit sous de multiples menaces. La « Ténèbre » s’est abattue sur l’Ukraine. Depuis le mois de février, un peuple que l’on prenait pour un satellite de la Russie, une nation dont l’histoire mal connue nous paraissait confuse, ce pays entre deux mondes s’est pourtant dressé avec le courage des héros et crie, au prix de ses enfants qui tombent, son désir de liberté. Une soif dont on ressent l’urgence quand une botte venue d’ailleurs tente de vous écraser sous les bombes, les missiles et les crimes de guerre. Faut-il donc souffrir à ce point pour retrouver un idéal ? Faut-il affronter la mort dans son visage de haine et de boue pour redonner un sens à nos envies d’humanité ?

Nos démocraties occidentales ont perdu leurs repères sacrés, elles ont oublié les phares du siècle des lumières, elles ont vidé leurs grandes utopies politiques dans les poubelles d’un XXe siècle à bout de souffle. Le XXIe a démarré à fond dans son train numérique où la souris des ordinateurs s’est transformée en un monstre créant repli sur soi, communautarisme et indifférence.
Nos démocraties occidentales ont perdu leurs repères sacrés, elles ont oublié les phares du siècle des Lumières, elles ont vidé leurs grandes utopies politiques dans les poubelles d’un XXe siècle à bout de souffle.
À se sentir si nombreux à partager des convictions de pacotille on a cru que nos opinions du jour valaient convictions. Pour l’essentiel, les grands mouvements sur les outils numériques se mettent en branle quand la peur saisit le groupe : peur de l’autre, peur de manquer, peur du lendemain, peur de ce qui n’est pas nous, pas moi, et comme ciment universel à cette peur généralisée, la terreur environnementale. La seule foi qui nous est laissée ne serait-elle donc que cette obsession de la survie de l’espèce ? Et l’humain dans tout ça ? Si Kiev est plongée dans l’obscurité, nous sommes ici en grand danger de « Ténèbre ».

La place de chacun de nous dans ce paradigme mondialisé est contingentée par sa capacité à s’inscrire sans heurts dans ce train qui roule à grande vitesse vers un avenir sans but précis, incertain. Jean-Marc Rochette l’avait si bien dessiné dans cette BD culte : Le Transperceneige, parue en 1982. Quarante ans plus tard, Rochette est de retour avec un chef d’œuvre : La Dernière Reine (éd. Casterman), un hymne au respect de la vie, quelle qu’elle soit. Quelque 240 pages où les champs de bataille livrent leur absurdité et où le courage et l’amour d’une femme rallument les feux de l’espoir

Notre civilisation s’est amputée de la plupart de ses ambitions transcendantes, comme si elles venaient entraver nos appétits de confort quotidien en exigeant notre réflexion sur le sens de nos actes. Rochette nous offre une perspective, un idéal pour rompre avec cet égoïsme qui nous est imposé par le système bien plus que par nos aspirations profondes. Cet idéal est la célébration du vivant, sous toutes ses formes. En lisant La Dernière Reine on est porté par l’énergie que donne la nature à son réveil matinal et on ressent cette évidence, faite de partage, d’amour, d’humilité et de résilience : nous ne sommes que des êtres vivants parmi d’autres.  Cette conscience devient un idéal bien plus puissant que toutes les peurs : apprendre à vivre ensemble, à respecter cet autre qu’est l’animal, à le considérer comme un égal, un partenaire, un habitant de la terre, au même titre que nous. Le premier désastre écologique ce sont huit milliards d’êtres humains, et bientôt dix, qui se sont arrogés le droit d’exploiter, de faire souffrir et d’éliminer d’autres êtres vivants, avec des armes de destruction massive. Pour chasser la « Ténèbre » nous devons considérer qu’un idéal commun peut nous porter dans ce siècle pétri de dangers et d’incertitudes : le vivant....

Ils s’appellent Jean-Marc Rochette, ou bien Jean Giraud alias Moebius, et puis il y a aussi Jacques Tardi, Pénélope Bagieu, Marjane Satrapi, et encore Jean Van Hamme et Claire Brétécher, Didier Convard, Marion Montaigne ou Catherine Meurisse et puis tous les autres, ces talents de la planche, ces as de la bulle, ces artistes de la ligne claire ou des jeux d’ombres. Ils ont rempli mes yeux. Ils ont peuplé mon imaginaire d’un réel sublimé ou d’ailleurs merveilleux. Et si le monde n’existait plus que dans sa représentation magnifiée par le trait et la couleur ? Dans L’Incal, une série d’albums époustouflants, les génies conjugués de Jodorowsky et Moebius ont créé un héros ordinaire, un citoyen lambda : John Difool. Il aspire à vivre en paix avec son animal de compagnie, un volatile étrange nommé Deepo, aussi pacifique que son complice humain. Ils sont confrontés à l’envahissement de l’univers par une obscurité terrifiante : la Ténèbre. Et John Difool, l’homme ordinaire, donne un sens à son existence, sans le décider vraiment, en devenant le sauveteur de la galaxie. Aujourd’hui, la planète vit sous de multiples menaces. La « Ténèbre » s’est abattue sur l’Ukraine. Depuis le mois de février, un peuple que l’on prenait pour un satellite de la Russie, une nation dont l’histoire mal connue nous paraissait confuse, ce pays entre deux mondes s’est pourtant dressé avec le courage des héros et crie, au prix de ses enfants qui tombent, son désir de liberté. Une soif dont on ressent l’urgence quand une botte venue d’ailleurs tente…

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