Fauve

Caryl Férey

Joey Catland n’était pas né pour régner sur le Golden Hour. Du moins il n’aurait jamais cru à ce type de trajectoire.

Joey avait grandi dans des faubourgs sales d’une cité où les enfants mouraient jeunes, dans une famille nombreuse qui fatalement ne l’était pas restée. Tara, leur mère, dut élever seule ses quatre enfants après la mort de son mari, tué à la guerre. Elle trimait comme bonne à tout faire dans les belles maisons du centre-ville, ramenait leurs déchets à manger, qu’ils se disputaient avec une joie insouciante. Joey n’était pas le plus fort des trois frères mais il était le plus inventif, le plus rêveur. Le plus « papillon », comme lui disait sa mère. Les enfants se débrouillaient quand elle partait au travail, apprenaient à chaparder et à se battre. Joey préférait l’école buissonnière, le bruit du vent sur sa crinière blonde, la simple liberté. On lui répétait qu’il était trop doux, pas adapté à la violence du monde : il n’en voulait pas d’autre. Et puis, Atlas était là pour le protéger quand leur mère était absente. C’était lui, le géant de la fratrie ; pour Joey, Atlas comptait double. 

Un premier orage tomba sur sa vie quand une maladie emporta leur jeune frère, qu’aucune médecine ne put soigner. Le sort s’acharna quand Billie, leur sœur, fut retrouvée sans vie dans un terrain vague. On ne sut jamais les raisons de sa mort, une fille de cité ne méritait pas une enquête. Restait son corps inerte dans la boue, Billie avec qui il avait tant joué enfant. Joey avait déjà perdu le goût du lait : il perdit ce jour-là celui de l’innocence.

Le monde n’était pas celui qu’il s’était imaginé. Pouvait-on faire machine arrière, subir sans chercher à s’en venger ? En attendant, la bande des quatre n’était plus que deux, et Joey était le moins robuste – comme si Atlas, son jumeau, l’avait vampirisé in utero.

L’esprit à l’apprentissage des codes qui feraient d’eux des hommes, les adolescents virent d’un œil indifférent l’arrivée de Ben dans la famille. Après tout, Tara devait refaire sa vie et si un homme pouvait l’aider à surmonter leurs difficultés, lui ou un autre... Ben possédait une entreprise de démolition, un fort caractère et la libido qui allait avec : Tara tomba vite enceinte. Les deux frères ne se méfiaient pas de leur beau-père, ils avaient tort : Ben avait conquis leur mère comme une part de marché et il n’y aurait plus d’appel d’offres. Il les chassa de la maison alors qu’ils étaient tout juste majeurs, leur déconseillant fortement de revenir.

Sous le joug du tyran, Tara n’avait pas protesté. Après tout, ils étaient grands. « Ce qui ne tue pas rend plus fort », leur avait-on dit. Sauf que Joey ne voulait pas de ces rapports de compétition, du tous contre tous de la guerre économique et ses lois iniques. 

— Qu’est-ce qu’on va devenir ? demanda Joey sur la route de rien.

— Des bêtes féroces, prédit Atlas. 

Les bannis découvrirent la rue, un monde de trottoirs, d’abris et de territoires misérables où la méfiance était de mise, et les coups nocturnes. Ils dormirent le jour sur des cartons car sans le sou, le ventre creux car trop gauches et facilement repérables avec leur look de provinciaux. Les frères ramassèrent les ordures pour payer leur pitance, et si Joey se résignait à la survie en milieu hostile, Atlas enrageait : il avait les mains dans la merde alors qu’elles étaient faites pour l’or. L’argent. Le pouvoir. Les femmes qui alors ne manqueraient pas de leur tourner autour comme des abeilles. Ils s’essayèrent à quelques cambriolages, d’abord peu convaincants, parvinrent enfin à déjouer les systèmes de surveillance, puis de sécurité, de plus en plus élaborés.

Une place au soleil.

Les bandes de leur espèce ne manquaient pas dans les rues. On se battait au rasoir, au couteau ou au sabre, parfois à mort. Les frères pactisèrent avec d’autres jeunes gueules cassées remplies de feux et de testostérone, constituèrent un groupe de maraudeurs hiérarchisé à coups de surins. Atlas devint naturellement le chef du gang. Joey suivait. Si son frère décidait, il nouait des liens avec les autres jeunes. Rejeté par sa famille, l’amitié remplaça peu à peu l’amour filial qui lui manquait. Ensemble ils jouaient à d’autres jeux, plus virils mais qui avaient le goût de l’enfance. Pour la première fois de sa vie, Joey avait une bande d’amis, des gens sur qui on peut compter.

Mais Atlas avait d’autres plans. Pour blanchir l’argent du trafic, il commença par acheter les boucheries du quartier puis du centre-ville, les commerces qui ne payaient pas de mine, les tabacs et les restaurants où on pouvait installer des machines à sous au sous-sol. Atlas multiplia les gains. Investit dans les garages, les parkings, blinda son business, évacua la concurrence. Les machines à sous marchaient bien, généraient du liquide qu’il jouait dans les courses de chevaux.

C’est là que Joey vit Daryll pour la première fois, un hiver. Vêtue d’un manteau en peau de loups, Daryll était la femme de Bandini, le parrain de la pègre qui tenait la ville d’une main de fer. Joey et Daryll échangèrent un regard depuis les gradins mais ne s’adressèrent pas la parole. Daryll était belle bien sûr, probablement dangereuse, et mère de deux enfants. Bandini les gardait à distance dans son manoir sécurisé, quiconque cherchant à entrer en contact risquant la mort.

Malgré l’effet euphorisant de cette rencontre, Joey ne s’y serait pas risqué. Il préférait rêver puisque c’était sa nature. Bandini tenait le marché de la drogue, la prostitution et le trafic migratoire qui l’alimentait, le mafieux graissait les pattes des politiques en manque de fonds, arrosait tous azimuts, mais seules les courses de chevaux occupaient les loisirs des puissants qui se partageaient la ville. Mais là encore, Atlas voyait plus loin. 

Bien installé dans le business, déjà riche, Atlas avait toutes les filles qu’il voulait mais il lui fallait la plus convoitée : Daryll. On lui dit qu’il était fou, que le dernier à avoir osé s’en prendre à la famille Bandini avait fini dans le fleuve, Atlas s’en fichait. Joey n’osa lui dire qu’il aimait en secret la même femme ; Atlas était le mâle alpha de la fratrie. 

Et il avait un plan. 

Atlas monta une salle de jeux – poker, black-jack, roulette – où on ne tarda pas à se presser. L’argent affluait à mesure que les notables et les tricheurs se retrouvaient, engendrant des bénéfices records. Fini les petits commerces et les marges à un chiffre. Les croupiers aux ordres arrosaient les serviteurs de l’État qui pouvaient lui servir, des sommes légales et nettes d’impôts réclamant un retour sur investissement. C’est ainsi que son frère fit construire le Golden Hour, le premier casino de la ville.

Déjà repu, Bandini avait laissé le business d’Atlas se développer, tant qu’il ne marchait pas sur ses platebandes. Mais il était temps de se confronter au jeune ambitieux – et accessoirement de le mater. Rusé, Atlas lui coupa l’herbe sous le pied ; il invita le couple VIP à la soirée d’inauguration du Golden Hour, mais aussi Bandini à en devenir le président d’honneur – une fonction agrémentée de quelques émoluments, des pourcentages dont ils discuteraient ensemble.

Fort de ses lauriers, le mafieux débarqua à l’inauguration au bras de sa femme, en tout resplendissante dans sa robe fauve. Daryll parlait peu mais son regard disait que le bel inconnu croisé aux courses des mois plus tôt ne la laissait pas insensible. Ou alors Joey rêvait encore : son mari était dans la force de l’âge, il avait gagné sa place rudement et méritait le respect, sans parler du désir brûlant de son frère…

Enfin, le couple fut reçu en grande pompe, tapis rouge et champagne, découvrant les salles du casino qui deviendrait leur nouveau territoire de jeux. On se méfie moins au milieu du luxe. « Tu te charges de la fille », avait prévenu Atlas à l’attention de son frère, sans se douter qu’il brûlait d’amour pour elle. 

Lorsqu’il fut convié dans le salon privé, Bandini n’était pas sur ses gardes. Daryll, si, qui attendait dans la pièce voisine. 

— C’est toi le garde-chiourme ? lança-t-elle à Joey, qui lui présentait une coupe de champagne, le temps de la négociation.

— Ce n’est pas comme ça que je parlerais de toi, répliqua-t-il.

— Tu peux te le permettre puisque je suis seule.

— Je ne suis pas sûr que ce que j’ai à dire t’intéresse.

— Pourquoi ?

— Parce que tu es une reine, s’enhardit-il, et je ne suis qu’un aventurier.

— Qui te dit que je n’aime pas l’aventure ?

Joey avait le rouge au front mais il ne se démonta pas.

— Tu as tout, non ? De l’argent, un manoir et des enfants bien gardés.

— Et un mari à qui vous avez tendu un piège : ne me prends pas pour une idiote.

Daryll le fixait de ses yeux jaunes, dans l’attente d’une réponse qui ne vint pas : des bruits terribles se firent alors entendre depuis le salon voisin. 

Atlas avait tendu un piège à son rival mais rien ne se déroula comme prévu. Quand Joey et Daryll se précipitèrent, ils trouvèrent deux corps ensanglantés. Bandini geignait en silence, la colonne vertébrale brisée par une balle de gros calibre, incapable de se relever, mais le tueur avait eu le temps de se défendre ; le visage fendu d’un vilain coup de sabre, Atlas errait dans le salon privé, ses mains rougies cherchant le vide. 

— Joey, c’est toi ? demanda-t-il tandis que son frère approchait.

— C’est moi, oui.

— Et Bandini ?

— Mort, ou presque.

À ces mots, un pauvre sourire traversa la plaine sanglante de son visage. Et Joey constata avec effroi que son frère avait les yeux crevés. Atlas tâtonnait dans le noir désormais sidéral de son espace mental, déjà certain qu’il n’y survivrait pas. À ses côtés, Daryll se tenait coite devant le gisant de son mari, ses cheveux blonds comme des soleils pâles sur les épaules, sidérée. Les pupilles du moribond luisaient encore dans la pénombre du salon privé, mais ça ne durerait pas.

Ces deux-là s’étaient entretués. 

Daryll ne tremblait pas.

— C’est toi, le nouveau chef j’imagine ? dit-elle avec sang-froid. 

Joey ne sut que répondre. Il ne s’était jamais projeté au-delà d’Atlas, mais devant l’état pitoyable de son frère, une métamorphose était en train de s’opérer : Joey ressentait le goût du sang. Un goût de fer qui, dès lors, ne le quitterait plus. Il n’était pas né pour mener les autres, l’esprit de conquête l’indifférait, mais la présence de la mort lui troua le cœur. 

— Fais-le pour moi, glapit Atlas, comme s’il devançait les pensées de son frère : deviens le maître du casino et tue quiconque s’en approche. Fonde une famille, comme je l’aurais fait à ta place.

Joey visionna leur vie en un éclair, leur jeunesse heureuse malgré tout avant d’être bannis par leur beau-père, leur fratrie décimée, et la rage finit de l’emporter. 

— Le Golden Hour est à moi maintenant, dit-il à Daryll : la ville et son territoire que je défendrai mieux que Bandini. Je veux que tu sois ma femme. Tu auras tout, en mieux. D’autres enfants.

Daryll avait des allures de reine mais c’était une effrontée. 

— J’en ai déjà, renvoya-t-elle.

— Je les chasserai.

— Quoi ?

— Tu préfères que je les tue ?

Daryll déglutit ; Bandini agonisait dans un râle, et aucun de ses hommes de mains n’avait la trempe de Joey. Comme Marilyn ou d’autres femmes ardemment convoitées, Daryll avait dû composer avec les forces mâles en présence, serrer les dents dans l’adversité avant de briller au firmament : perdre son statut était au-dessus de ses forces.

 Comme la mère de Joey l’avait fait avant elle, Daryll laissa partir ses fils avant qu’ils se fassent tuer par leur nouveau maître. Une loi d’airain sur ces terres sauvages. Enfin, le temps effaçant les plaies, Daryll mit bientôt au monde deux enfants plein de santé et de vigueur.

Joey n’était plus un vagabond errant dans l’ombre de son frère, qui n’avait pas tardé à succomber à ses blessures, mais un chef mafieux sans pitié pour tous ceux qui approchait de sa famille. Joey tolérait les jeux incessants des enfants quand il se reposait dans le jardin, les tenait loin de la rue et de ses dangers. De nouveaux gangs se formaient le long des frontières invisibles, cherchaient à racketter les commerces et les bars, mais les imprudents finissaient dans le fleuve ou en si piteux état qu’aucun ne revenait.

Trois années passèrent, et l’été semblait durer l’éternité. 

— Tu es heureuse ?

— Tant que tu es un bon père, rétorqua Daryll.

Joey savoura ce rare compliment. L’argent du casino continuait d’affluer, d’autres femmes aussi sur lesquelles il valait mieux fermer les yeux ; Joey était le roi.

Une femme débarqua un jour au Golden Hour, Iena, entourée de ses gardes du corps, toutes féminines. Iena avait des yeux noirs et profonds, presque humbles, les jambes courtes sous sa robe passe-partout, qui réveilla l’instinct du tueur. Joey se renseigna auprès de ses hommes. 

— Vous feriez bien de vous méfier, boss, lui dit l’un d’eux. On n’a jamais réussi à les prendre la main dans le sac mais sous leurs airs de chien battus, ces filles sont dangereuses.

Joey les observa sous les lumières du casino ; Iena ne jouait pas à la roulette ou aux cartes, se contentant de faire le tour des tables, à l’instar de ses congénères.

— Tu crois qu’elles sont en repérage ? demanda le patron du lieu. Qu’elles préparent un coup ?

— On les soupçonne d’avoir cambriolé l’entrepôt le long du fleuve. Le casino est une grosse prise.

Bien sûr il y avait une caisse à l’étage, des milliers de dollars en liquide extorqués aux joueurs, que le trésorier du Golden Hour déposait chaque lundi à la banque…

Joey ne changea pas ses habitudes ; escorté d’un de ses tueurs, tenant la caisse sur ses genoux, le trésorier du casino se rendit en voiture à la Royal Bank où s’accumulait son argent. Iena et son gang attaquèrent à un feu rouge ; cernant le véhicule, elles jaillirent des portières et braquèrent leurs armes. 

Donne-moi la caisse ! ordonna la chef de bande. Vite !

Le trésorier levait les mains dans l’habitacle, tachant de garder son sang-froid, quand un bruit sourd coupa court au car-jacking ; le moteur hurlant depuis le coin de la rue, un camion fondit sur eux, semant la panique parmi les piétons. Le gang des filles eut à peine le temps de contre-attaquer ; lancé à pleine allure, le camion défonça tout sur son passage, avant que Joey et ses hommes bondissent sur l’asphalte pour un massacre en règle. Iena se battit avec courage mais le piège s’était refermé : Joey la tua de ses mains, et la regarda dans les yeux jusqu’à ce qu’un voile apparaisse à mesure que sa vie fuyait.

Un pur moment d’extase.

Le dernier.

Car l’étranger est arrivé. Mitch, le visage tailladé témoin de ses batailles, un de ces maraudeurs en quête et qui ne savait pas reculer. C’était un dimanche, Joey et sa famille se promenait au bord du fleuve lorsqu’il apparut, le sabre à la main en signe de défi. Joey s’en était fait une spécialité, qui marquait l’ennemi au fer et envoyait des signaux à ses éventuels rivaux. Celui-là était de taille. 

— Il vaut mieux que tu partes, dit-il à sa femme. Emmène les enfants, et cache-les. 

Daryll avait soudain peur pour lui, pour eux.

— Je peux rester si tu veux.

— Non. Prends les enfants, je te dis : obéis.

Daryll poussa leur progéniture sans un regard pour Joey, qui ne craignait personne. Il porta son attaque avec férocité, frappa le balafré mais il le rata. Pire, Mitch lui fendit le visage d’un coup de sabre, taillada sa peau dure jusqu’à ce que Joey ne soit plus que sang et chairs ouvertes. Inutile d’achever le chef mafieux à ses pieds, la vie s’en chargerait. Joey fuit sans demander son reste, la tête basse des battus sans gloire, le cœur lourd. Son règne n’aurait duré que trois ans.

Il ne sut jamais ce qu’il advint de Daryll et des enfants, sans doute cette vermine de Mitch les tua-t-il de ses mains. Joey songeait plus qu’à panser ses blessures, y survivre. Il avait perdu le casino, sa femme et sa fortune, l’illusion du pouvoir. Ses anciens amis se rallièrent vite au nouveau boss, Joey était de toute façon trop vieux pour réunir de nouvelles forces, usé par des années de combat pour garder la main sur le trafic. Il n’était plus craint.

La chute est un chemin de croix pour les puissants. Chassé de la ville, seul ou évité comme la peste, Joey redevint un maraudeur. Son frère n’était plus là pour l’aider, il n’avait plus d’amis, et le stress le rongeait. Lui qui méprisait la faiblesse marchait sur son ombre.

 

D’autres mois sont passés. Joey ne survit plus aujourd’hui que de cambriolages ou de vols dans des villages perdus. Il détrousse les vieillards et les trop jeunes pour riposter qu’il croise sur son chemin, fait parfois les poches des cadavres que le gang de Mitch abandonne au fleuve. Le ciel est toujours cruellement bleu, chaque nuit plus dangereuse. De jeunes bandits rôdent autour de la ville, des petits salopards qui, le voyant esseulé et affaibli, n’hésiteront pas à lui régler son compte.

Les jours s’allongent dans son esprit de bête traquée. Joey survit à la faim qui désormais le tiraille, erre sans repères, fait les poubelles des restaurants, quand on ne lui casse pas la gueule à la sortie des bars où il ose encore se montrer. Joey se cache pour dormir. Il sait qu’aucune femme ne voudra de lui, on ne sombre pas à deux dans le néant. Mauvaise mère, la vie l’abandonne. Déjà. Tout est allé si vite. Il revoit les jours heureux de son enfance, les quatre inséparables qui jouaient aux Indiens, la tendresse… Non, se reprend-il, il faut qu’il trouve une combine, un moyen de sortir du trou où chaque jour l’enfonce un peu plus. 

Joey gamberge, toujours plus loin de la ville, quand il aperçoit un village perdu dans la poussière. Et son cœur se met à battre plus fort : il y a une banque, et son odeur de billets que le vent porte comme une promesse. Pas de flics à l’horizon, de milice armée ou de citoyens sur le qui-vive, sinon quelques oiseaux paresseux qui déguerpissent à son approche. L’œil rivé sur le bâtiment de briques cuisant sous le soleil, Joey se fiche des mouches qui collent à la rue, des regards craintifs derrière les rideaux, l’argent est à portée de mains et le vieux mafieux reste dangereux. Il s’apprête à grimper les trois marches qui mènent à la banque quand une voix dans son dos l’apostrophe.

— Tu cherches quelque chose ? 

Joey se retourne et découvre le visage halé d’une jeune femme, qui vient vers lui. Lena. Son regard est sombre et profond comme un puits la nuit, sa démarche lente sous sa robe. Lena n’est pas seule puisque d’autres filles de son genre apparaissent depuis les ruelles voisines, petites, râblées, les yeux injectés. 

— Tu ne te souviens pas de moi ? lui lance Lena.

— Pourquoi, je devrais ? 

— Un peu, oui, renvoie-t-elle. J’étais enfant quand tu as massacré ma famille. Iena, ce nom ne te dit rien ? C’était ma mère. Tu lui as tendue un guet-apens, mais quelques-unes de ses proches ont pu s’échapper, qui se sont occupées de nous… Pour toi bien sûr, nous sommes toutes les mêmes, ajoute Lena, mais nous avons grandi, comme tu le vois. 

Une masse compacte se resserre sur lui ; Joey sort ses sabres, qu’il brandit à la face de la cheffe de bande.

— N’approche pas où je te découpe en deux ! siffle-t-il.

— Essaie.

Seule, Lena se ferait trucider par le vieux guerrier, mais elles sont plus de vingt, soudées par la haine ; Lena attaque la première, aussitôt imitée par la meute vengeresse. Malgré son courage et ses terribles lames, Joey est vite submergé. Succombant sous le nombre, déchiqueté, il se laisse tomber à terre, à bout de forces. Le début de la curée. 

 Joey rugit une dernière fois quand on lui arrache les entrailles. Une fin cruelle pour un être qui ne rêvait que de liberté, mais Joey ne sait pas regretter : il a vécu sa vie de lion. 

...

Joey Catland n’était pas né pour régner sur le Golden Hour. Du moins il n’aurait jamais cru à ce type de trajectoire. Joey avait grandi dans des faubourgs sales d’une cité où les enfants mouraient jeunes, dans une famille nombreuse qui fatalement ne l’était pas restée. Tara, leur mère, dut élever seule ses quatre enfants après la mort de son mari, tué à la guerre. Elle trimait comme bonne à tout faire dans les belles maisons du centre-ville, ramenait leurs déchets à manger, qu’ils se disputaient avec une joie insouciante. Joey n’était pas le plus fort des trois frères mais il était le plus inventif, le plus rêveur. Le plus « papillon », comme lui disait sa mère. Les enfants se débrouillaient quand elle partait au travail, apprenaient à chaparder et à se battre. Joey préférait l’école buissonnière, le bruit du vent sur sa crinière blonde, la simple liberté. On lui répétait qu’il était trop doux, pas adapté à la violence du monde : il n’en voulait pas d’autre. Et puis, Atlas était là pour le protéger quand leur mère était absente. C’était lui, le géant de la fratrie ; pour Joey, Atlas comptait double.  Un premier orage tomba sur sa vie quand une maladie emporta leur jeune frère, qu’aucune médecine ne put soigner. Le sort s’acharna quand Billie, leur sœur, fut retrouvée sans vie dans un terrain vague. On ne sut jamais les raisons de sa mort, une fille de cité ne méritait pas une enquête. Restait son corps inerte dans la boue,…

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