Faut-il brûler l’audiovisuel public ?

Nathalie Sonnac

À chaque nouvelle élection, on entend la même petite musique : « Il faut privatiser le service public de l’audiovisuel : 139 euros de redevance annuelle pour une rentabilité nulle, c’est un scandale » ; ou alors : « Il faut supprimer la redevance pour redonner du pouvoir d’achat aux Français » ; ou encore : « Il n’existe aucune différence entre chaînes publiques et privées ». La privatisation des chaînes du service public fait partie des propositions de campagne des candidats de l’extrême droite et la fermeture d’une ou deux chaînes serait envisagée par ceux de la droite. Cette rengaine n’est ni nouvelle ni propre à la France. En Grèce en 2013, le gouvernement, en pleine crise économique, avait provoqué une onde de choc en supprimant brutalement le pôle ERT, déclenchant dans la foulée une crise politique et institutionnelle qui s’est répandue jusqu’à Bruxelles. En Suisse en 2018, la question de l’avenir du service public avait été soumise à la votation par des jeunes du mouvement du Parti libéral-radical. Une privatisation rejetée à 71,6 % mais qui a fait trembler le pays. Plus récemment, le gouvernement de Boris Johnson a décidé du gel de la redevance de la BBC – souvent considérée comme un modèle pour la qualité de ses programmes – pour les deux prochaines années, évoquant sa suppression d’ici 2027.

Depuis vingt ans, le paysage audiovisuel vit un véritable big bang et la télévision s’est installée comme le premier loisir des Français. Le numérique et l’arrivée de nouvelles technologies ont permis d’offrir aux téléspectateurs la possibilité d’accéder gratuitement à 26 chaînes généralistes et thématiques, à des centaines de chaînes payantes nationales et étrangères, à une foison de chaînes sur YouTube et à de nombreux services de vidéos à la demande. Plongés dans un univers de surabondance informationnelle, pourquoi aurions-nous encore besoin de chaînes du service public ? Se distinguent-elles vraiment de celles du secteur privé ?

Le défunt Jean Drucker, qui fut PDG de M6, soulignait, en 2001, que la télévision avait été « la voix de la France » et demeurait un « objet de fascination et de défiance ». Il notait que chez nos voisins britanniques ou allemands, il y avait « d’un côté le service public financé par la fiscalité ou la parafiscalité et assigné à des missions d’intérêt général, de l’autre un secteur privé commercial financé par la publicité et soumis aux lois du marché ». En France, le cadre réglementaire est resté volontairement ambigu. Les chaînes publiques tirent une partie de leur financement de la publicité, justifiant ainsi le versement d’une redevance sensiblement inférieure à celle de nos voisins européens : 408 euros en Suisse, 330 euros au Danemark, 210 euros en Allemagne et 166 euros en Grande-Bretagne, selon l’Observatoire européen de l’audiovisuel (2017). Les chaînes privées sont soumises « à un niveau de contrainte égal à celui du secteur public » avec un régime de quotas équivalent et un accès restreint au marché publicitaire (plages limitées et interdiction pour certains secteurs). La levée de l’interdiction de la publicité pour le cinéma date d’août 2020. Jean Drucker voyait deux conséquences néfastes à cette situation : une télévision française moins riche qu’ailleurs en Europe et un brouillage d’image qui conduit à s’interroger sur la légitimité du secteur public et par voie de conséquence de la redevance.

La Directive de services de médias audiovisuels (SMA) souligne l’importance de la coexistence de fournisseurs publics et privés, allant jusqu’à formuler qu’elle caractérise le marché européen des médias audiovisuels. Le Parlement européen de son côté, dans sa résolution de la Charte de l’Union européenne, souligne le rôle fondamental d’un système double : « Dans une société du multimédia, où le nombre d’acteurs mondiaux du marché guidés par des intérêts commerciaux a augmenté, des médias du service public sont essentiels. »

En France, l’État et le service public de l’audiovisuel sont liés par un contrat d’objectifs et de moyens dans lequel sont inscrites les missions d’intérêt général qu’il se doit de remplir, un contrat bien différent des conventions signées par les chaînes privées avec le régulateur. Plus de 70 articles déterminent les caractéristiques de chaque service édité, qui vont de la nécessité de faire vivre le débat démocratique, l’insertion sociale et la citoyenneté, à la promotion de la langue française, en passant par la communication gouvernementale en temps de crise ou encore la lutte contre le dopage. Chaque année, un rapport d’exécution de ce cahier des charges est envoyé par le régulateur aux présidents des commissions des affaires culturelles du Parlement. Document complété par un exercice de plus grande ampleur, effectué par le CSA (devenu Arcom) tous les quatre ans, qui suivent le début du mandat du dirigeant. Orientations, objectifs et indicateurs quantifiés sont analysés, évalués et rendus publics.

La télévision publique se doit d’être un outil de cohésion sociale, avec pour objectif de rassembler, et de traiter le téléspectateur en citoyen et non en consommateur.

Le service public est une référence de la communication audiovisuelle à au moins deux égards. L’information est une des composantes essentielles de sa mission d’intérêt général. Il représente 53 % de l’offre globale d’information de la TNT (hors chaînes d’information) et 78 % des journaux d’information en 2019. Cette mission est attendue et reconnue par le public. Avec une part d’audience moyenne globale de 28,9 % en 2020, France Télévisions, avec toutes ses chaînes, précède les chaînes des groupes TF1 et M6 avec respectivement 26,8 % et 14,6 % de part d’audience (Médiamétrie). Une consultation citoyenne de 127 109 personnes, menée par Ipsos en 2019 pour France Télévisions et Radio France, faisait apparaître que « la qualité de l’information et sa fiabilité » était nettement la première des attentes (68 %), devant « un large éventail de programmes culturels » (43 %) et « le soutien à la création française » (38 %). En décembre 2018, dans un sondage Harris Interactive sur le traitement de la crise des gilets jaunes, 72 % déclaraient faire confiance à France 3, 71 % à France Info, 68 % à France 2 et 52 % à BFM TV.

Son cahier des charges lui fixe également un objectif ambitieux en matière de création, plus exigeant que celui imposé à ses partenaires privés. France Télévisions est le premier partenaire de la création, le groupe a investi en 2020 plus de 500 millions d’euros dans la production nationale (et 60 millions d’euros dans le cinéma). Avec une part de 60 %, le groupe public est le premier levier de croissance du secteur. Pour Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions : « Chaque euro de redevance a un effet multiplicateur de 2,4 euros dans l’économie française. À elle seule, France Télévisions génère 4,4 milliards d'euros de PIB et 62 000 équivalents temps plein, dont 40 % en région et en outre-mer. »
Nathalie Sonnac, professeure à l’Institut français de presse de l’université Paris II Panthéon-Assas, présidente du comité d’éthique pour les données d’éducation, a été membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (2015-2021).
Directeur des programmes de 1952 à 1959, l’ancien résistant Jean Darcy avait pour habitude de dire que « le droit à l’information, le droit à l’éducation, le droit à la culture » étaient des droits absolus, inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Avec une offre de programmes articulée autour du triptyque « informer, éduquer et divertir », la télévision publique se doit d’être un outil de cohésion sociale, avec pour objectif de rassembler, à travers de nombreuses actions de proximité, et de traiter le téléspectateur en citoyen et non en consommateur.

À l’heure de la multiplication des fake news, de la polarisation des opinions, de la fragmentation de la sphère culturelle et sociale, il devrait exister un pacte de service public avec comme seule question : comment garantir la pérennisation de son financement et préserver son indépendance ? En Allemagne, une réforme du secteur a retenu une contribution forfaitaire universelle. Elle est acquittée non plus en fonction du service rendu, mais en contrepartie de l’accès au service, obligatoire pour chaque lieu de résidence. Un sujet de débat pour la campagne présidentielle....

À chaque nouvelle élection, on entend la même petite musique : « Il faut privatiser le service public de l’audiovisuel : 139 euros de redevance annuelle pour une rentabilité nulle, c’est un scandale » ; ou alors : « Il faut supprimer la redevance pour redonner du pouvoir d’achat aux Français » ; ou encore : « Il n’existe aucune différence entre chaînes publiques et privées ». La privatisation des chaînes du service public fait partie des propositions de campagne des candidats de l’extrême droite et la fermeture d’une ou deux chaînes serait envisagée par ceux de la droite. Cette rengaine n’est ni nouvelle ni propre à la France. En Grèce en 2013, le gouvernement, en pleine crise économique, avait provoqué une onde de choc en supprimant brutalement le pôle ERT, déclenchant dans la foulée une crise politique et institutionnelle qui s’est répandue jusqu’à Bruxelles. En Suisse en 2018, la question de l’avenir du service public avait été soumise à la votation par des jeunes du mouvement du Parti libéral-radical. Une privatisation rejetée à 71,6 % mais qui a fait trembler le pays. Plus récemment, le gouvernement de Boris Johnson a décidé du gel de la redevance de la BBC – souvent considérée comme un modèle pour la qualité de ses programmes – pour les deux prochaines années, évoquant sa suppression d’ici 2027. Depuis vingt ans, le paysage audiovisuel vit un véritable big bang et la télévision s’est installée comme le premier loisir des Français. Le numérique et l’arrivée de nouvelles technologies ont permis d’offrir aux téléspectateurs la possibilité d’accéder gratuitement à 26 chaînes généralistes et thématiques, à…

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