Que veut la génération Z ?

Jean-Claude Seys

Évoluant avec leur temps, les jeunes de moins de 26 ans souhaitent trouver du sens dans leur travail.

Le monde du travail a connu au cours des dernières années un certain nombre d’évolutions

que la crise du covid a amplifiées et surtout fait apparaître au grand jour. Leur étendue en fait un problème de société qu’il nous a semblé nécessaire d’aborder. On connaît tous les symptômes de cette évolution : difficultés de recrutement, démotivation des collaborateurs, difficultés de fidélisation des talents, démissions sans préavis et sans prise en compte des conséquences pour l’entreprise et le client, personnes ne travaillant que le temps minimum nécessaire à la reconstitution de leurs droits au chômage. On pourrait aussi mentionner, puisque l’âge de départ à la retraite a fait l’objet d’âpres débats au Parlement et dans l’opinion, de confrontations entre gouvernement et syndicats, le refus de repousser cet âge alors que le Danemark, qui fait partie de cette Scandinavie longtemps retenue comme modèle par les partenaires sociaux, en est déjà à 67 ans. La multiplication des ruptures conventionnelles à trente- six mois de l’âge de la retraite qui constituent, du fait qu’il s’agit de la durée d’indemnisation maximale du chômage, des retraites anticipées va dans le même sens.

Un mouvement aussi fort ne peut être que le reflet d’évolutions sociétales. On peut citer :

L’individualisme ambiant qui ne fait bon ménage avec aucune forme d’engagement qu’il s’agisse de la politique, de la famille, du syndicalisme ou désormais du travail.

Un mal-être général qui suscite et nourrit notamment beaucoup de difficultés psychiques.

Une exigence d’équilibre entre temps de travail et temps personnel.

La vie privée est en effet soumise à des contraintes et des sollicitations qui n’ont jamais été aussi importantes. Les écrans absorbent plusieurs heures par jour. Le téléphone à lui seul occupe trois heures trente quotidiennes, partagées entre le travail et le temps personnel.

Le travailleur n’est pas un héros, les médias ne cessent de lui donner le sentiment de contribuer à la destruction de la planète.

Il faut aussi du temps pour la vie administrative, la santé, le sport, la consommation elle-même. Pendant longtemps les produits de consommation ont visé à faire économiser du temps à la ménagère. C’est désormais l’inverse : les progrès et services qui progressent consomment du temps.

Par ailleurs, l’évolution des structures familiales gomme pour partie la réduction du temps de travail, quasiment divisé par deux depuis le milieu XIXe siècle, passant de 3 000 à 1 500 selon Pierre Boisard, sociologue au CNRS. Le travail des deux conjoints et l’accroissement des durées de transport ont comprimé le temps disponible utile du ménage. De plus, la décohabitation, la multiplication du nombre de ménages unipersonnels et de familles monoparentales, qui représentent ensemble 40 % des foyers, augmentent la pression des corvées domes- tiques sur ceux qui subsistent.

Le hiatus entre les valeurs prônées par la société et les contraintes de la vie au travail joue également un rôle. Le travailleur n’est pas un héros, les médias ne cessent de lui donner le sentiment de contribuer à la destruction de la planète.

Les entreprises à mission qui consacrent 1 à 2 % de leur valeur ajoutée à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) sont vantées comme si les 65 % qu’elles versent aux salariés et les 25 % qu’elles versent à l’État au titre de l’impôt et des cotisations sociales comptaient pour du beurre, donnant aux travail- leurs le sentiment d’anachronisme et de perte de sens.

La bureaucratie envahit tout : le cadre d’aujourd’hui n’est plus un chef mais un contrôleur veillant à l’application des lois, règlements, normes et des directives émanant de multiples services fonctionnels des entreprises : DRH, DSI, sécurité, RSE, contrôle interne, santé, etc., conscient que sa responsabilité pénale peut être engagée en cas de non-respect de ces obligations.

La génération Z, c’est-à-dire les jeunes nés entre 1997 et 2010, semble avoir une attitude particulièrement réticente à l’égard du travail et pose de nombreux problèmes aux employeurs. Comme les générations qui l’ont précédée, elle accepte de travailler, mais pas sous la contrainte. Elle veut choisir son travail, y trouver un sens et questionne l’autorité.

La quête de sens est souvent interprétée comme le désir de contribuer à la réalisation d’un idéal, social, humanitaire, ou écologique notamment. Bien que cela puisse exister, ce n’est pas ainsi qu’il faut la comprendre, mais comme la volonté de travailler utilement à un objectif utile, par des actes appropriés à cette fin. Elle refuse donc d’obéir à un ordre fondé sur un argument hiérarchique ou juridique, qu’elle accepte si elle en reconnaît la légitimité, s’il s’accompagne des informations nécessaires à sa bonne exécution. Le travail utile à ses yeux, ce n’est pas exclusivement celui qui serait au service d’une grande cause, c’est celui qui n’est pas inutile, comme le sont nombre de rapports par exemple, commandés, effectués, jamais lus ou qui ne servent qu’à la gloire et à la carrière du chef.

Au fond, il y a dans cette attitude beaucoup de bon sens. Elle remet en question le fonctionnement des entreprises, fondé sur le pouvoir hiérarchique, qui n’a pas évolué depuis la guerre, contrairement au reste de la société. Il y a dans ce mouvement un alignement avec ce qui s’est passé dans le reste de l’espace social. L’autorité du pater familias décidant pour toute la famille a disparu. Le chef militaire de droit divin pouvant ordonner une attaque perdue d’avance pour la gloire n’existe plus. La génération Z, élevée dans la foi en la liberté et l’égalité, veut bien travailler, pas pour satisfaire l’ego ou l’intérêt d’un chef, mais en sachant où elle va et à condition que l’action soit nécessaire à un objectif connu et admis comme acceptable. Les conditions économiques et sociales très favorables existant dans notre pays allègent l’obligation de travailler et rendent plus nécessaires que jamais l’adhésion du salarié dont la clé est la qualité du management. Les chauffeurs de VTC, qui ont refusé de devenir salariés contrairement à ce qu’exigeaient et ont parfois obtenu les syndicats, ont montré la voie en acceptant de longues journées de travail, mais au moment qui leur plaît, sans patron pour leur dicter quoi que ce soit.

Le management a encore, et peut- être plus que jamais, sa place mais le manager doit être celui qui forme, qui aide, qui soutient, qui encourage, qui défend et non le chef qui transmet un ordre. C’est beaucoup plus exigeant, d’autant que la société globale exprime de nombreuses attentes nouvelles à son égard : il lui incombe désormais de faire respecter la réglementation, des normes et des directives à défaut de quoi sa responsabilité serait mise en cause. Pour cette raison, l’expérience de Pascal Broquard, auteur du livre Des forces spéciales à l’entre- prise (éd. L’Harmattan), qui a opéré dans les forces spéciales, sur tous les champs où l’armée française a été engagée depuis trente ans, alternant les temps opérationnels et de formation, est particulièrement précieuse. Elle met en évidence que des hommes acceptent le risque maximum, leur vie ou leur intégrité physique, dès lors qu’ils comprennent pourquoi, qu’ils ont confiance dans l’utilité de leur sacrifice et parce que le chef prend les mêmes risques, assurant par son exemple la validité de l’action et démontrant son intégrité morale et son courage.

Être manager, dans ces conditions, n’est pas chose facile. Ce n’est ni un statut, ni un privilège, ni une récompense mais une mission qui exige de l’humilité et du désintéressement. Il s’agit de servir et non d’être servi. C’est peut-être la rai- son pour laquelle on trouve de bons managers dans les forces spéciales.

 

Jean-Claude Seys est président de l’Institut Diderot, think tank qui a pour vocation de délivrer aux leaders d’opinion une information prospective sur les principales évolutions sociétales. Il est aussi fondateur et président d’honneur de Covéa, groupe mutualiste leader européen de l’assurance et de la réassurance.

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Évoluant avec leur temps, les jeunes de moins de 26 ans souhaitent trouver du sens dans leur travail. Le monde du travail a connu au cours des dernières années un certain nombre d’évolutions que la crise du covid a amplifiées et surtout fait apparaître au grand jour. Leur étendue en fait un problème de société qu’il nous a semblé nécessaire d’aborder. On connaît tous les symptômes de cette évolution : difficultés de recrutement, démotivation des collaborateurs, difficultés de fidélisation des talents, démissions sans préavis et sans prise en compte des conséquences pour l’entreprise et le client, personnes ne travaillant que le temps minimum nécessaire à la reconstitution de leurs droits au chômage. On pourrait aussi mentionner, puisque l’âge de départ à la retraite a fait l’objet d’âpres débats au Parlement et dans l’opinion, de confrontations entre gouvernement et syndicats, le refus de repousser cet âge alors que le Danemark, qui fait partie de cette Scandinavie longtemps retenue comme modèle par les partenaires sociaux, en est déjà à 67 ans. La multiplication des ruptures conventionnelles à trente- six mois de l’âge de la retraite qui constituent, du fait qu’il s’agit de la durée d’indemnisation maximale du chômage, des retraites anticipées va dans le même sens. Un mouvement aussi fort ne peut être que le reflet d’évolutions sociétales. On peut citer : L’individualisme ambiant qui ne fait bon ménage avec aucune forme d’engagement qu’il s’agisse de la politique, de la famille, du syndicalisme ou désormais du travail. Un mal-être général qui suscite…

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