In vino veritas

François Thomazeau

Brillat-Savarin avait tout compris lorsqu’il lançait : « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es. » Le chantre de cette cuisine française, dont l’idée même fait aujourd’hui tiquer certains, ne pouvait pas imaginer que l’influence indéniable de la nourriture sur nos vies irait jusqu’à définir l’appartenance politique et que, près de deux siècles après sa mort, sa formule deviendrait : « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai pour qui tu votes. » Nous aurait-on menti ? Le nouveau et l’ancien régimes étaient-ils avant tout alimentaires ? Faut-il effacer de nos livres de recettes ce bon vieux Henri IV pour avoir défendu la poule au pot et ainsi contribué, par anticipation, à l’élevage en batterie ? L’époque est à la multiplication des chapelles et des cantines, chacune de plus en plus barricadée sur ses certitudes, ses croyances, ses choix, ses goûts, ses diètes, transformés en absolus incontestables, irréductibles, non-négociables. Le regard rivé sur notre nombril, c’est pour lui que nous votons et faisons campagne. Nos microbiotes deviennent des forteresses à défendre quoi qu’il en coûte. Et l’empathie qu’on prétend accorder au vivant s’arrête aux portes des cuisines, où les couteaux sont de sortie pour ceux qui auraient le malheur de ne pas se plier au menu imposé. On ne lutte plus contre la malbouffe, encore moins contre la malnutrition, oubliées dans le repli pandémique sur nos listes d’amis et la jauge de nos convives. Alors loin de moi l’idée de ranger les uns et les autres, en fonction de leur flore intestinale, dans les garde-mangers de telle ou telle tendance. Penser que le saucisson-pinard est d’extrême droite est à peu près aussi convaincant qu’affirmer que seuls les blonds mangent de la choucroute ou que tous les végans passent leurs repas à faire grise mine devant leur tofu bouilli au wok. Quoi qu’on en dise, quoi qu’on en pense, la bouffe, c’est la vie. Et en tant que telle, elle est diverse, colorée, variée, bonne, mauvaise, changeante, faillible, passagère, toujours semblable et sans cesse renouvelée, réchauffée, déstructurée. Sa richesse vient de sa diversité, de la multitude des choix alimentaires dont notre nature nous a dotés. Comme le disait avec justesse et une touche de naïveté consciente un vieil ami bistrotier : « Mon métier est important, parce que ce que je fais rentre dans les gens. »

Quoi qu’on en dise, quoi qu’on en pense,la bouffe, c’est la vie.Et en tant que telle, elle est diverse, colorée, variée, bonne, mauvaise, changeante, faillible, passagère...

Aussi son credo était-il simple : si je fais rentrer dans les gens de bonnes choses, ils seront bons ! Il me semble qu’on pourrait s’entendre, quel que soit le plan de table, sur cette résolution. Mangeons et buvons bien. Mettons l’accent, partout et tout le temps, sur la qualité plutôt que sur la quantité, sur l’essence des choses plutôt que sur leur existence. Et comme la vie se nourrit de la vie et donc d’autres êtres vivants, respectables jusque dans l’assiette et d’autant plus goûteux qu’ils auront bien vécu, rendons la plus belle en mangeant mieux, dans la variété, en jonglant avec les recettes et les menus pour en faire une fête chamarrée. Et oui, incontestablement, offrir ce choix, cette palette au plus grand nombre serait salutaire, voire révolutionnaire.
François Thomazeau,
journaliste, écrivain et rédacteur en chef de Bastille Magazine. François Thomazeau a passé vingt ans à l’agence Reuters et publié une soixantaine de livres.
Son dernier ouvrage, Marseille brûle-t-il ?, est paru aux éditions Gaussen.
Une enquête récente d’universitaires du King’s College de Londres a étudié pendant six mois, sur des jumeaux, les effets d’un régime carné et d’un régime vegan. Verdict ? Match nul. Le viandard avait plus de cholestérol, mais le végétarien avait une flore intestinale dévastée, et moins d’immunité. Conclusion : la vérité est dans la variété.

Le vin a montré la voie. En un demi-siècle, il a basculé inexorablement de la production de masse à la viticulture de bon goût, il a su diversifier cépages et vinifications, respecter le produit, le savoir-faire et le métier. C’est ainsi que le secteur a assuré sa survie et repris son envol dans un monde où la consommation d’alcool est en retrait. On pourrait appliquer cette manière de faire et de penser à tous les domaines.

Produire moins, mais mieux. Avoir moins d’amis sur les réseaux sociaux, mais plus nombreux à table. Moins de certitudes, mais des doutes plus nourrissants. Faire taire le feu nourri de l’information sans temps mort pour déguster les bonnes, les vraies nouvelles. Conserver sur son chevet la littérature de garde et de vieux exemplaires de Bastille. Brasser moins d’idées, mais laisser mijoter les bonnes. Freiner la marche des algorithmes pour écouter notre rythme intérieur. Celui de notre cœur, de nos viscères, de nos entrailles et de nos bactéries.....

Brillat-Savarin avait tout compris lorsqu’il lançait : « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es. » Le chantre de cette cuisine française, dont l’idée même fait aujourd’hui tiquer certains, ne pouvait pas imaginer que l’influence indéniable de la nourriture sur nos vies irait jusqu’à définir l’appartenance politique et que, près de deux siècles après sa mort, sa formule deviendrait : « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai pour qui tu votes. » Nous aurait-on menti ? Le nouveau et l’ancien régimes étaient-ils avant tout alimentaires ? Faut-il effacer de nos livres de recettes ce bon vieux Henri IV pour avoir défendu la poule au pot et ainsi contribué, par anticipation, à l’élevage en batterie ? L’époque est à la multiplication des chapelles et des cantines, chacune de plus en plus barricadée sur ses certitudes, ses croyances, ses choix, ses goûts, ses diètes, transformés en absolus incontestables, irréductibles, non-négociables. Le regard rivé sur notre nombril, c’est pour lui que nous votons et faisons campagne. Nos microbiotes deviennent des forteresses à défendre quoi qu’il en coûte. Et l’empathie qu’on prétend accorder au vivant s’arrête aux portes des cuisines, où les couteaux sont de sortie pour ceux qui auraient le malheur de ne pas se plier au menu imposé. On ne lutte plus contre la malbouffe, encore moins contre la malnutrition, oubliées dans le repli pandémique sur nos listes d’amis et la jauge de nos convives. Alors loin de moi l’idée de ranger les uns et les autres, en fonction de leur flore intestinale, dans les…

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